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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




La Parole au Silence
Rien ne résiste à la parole que le silence. Amoureux de longue date, les deux se connaissent à merveille et se supportent mutuellement. Du silence à la parole ou de la parole au silence, il n’y a qu’un pas. Pas plus.

Des silences parlants ou des paroles silencieuses, nous en connaissons. De vrais jumeaux, pourrait-on dire, tellement ils se ressemblent. Pour ne pas succomber à la confusion, d’aucuns tentent de les habiller distinctement : le silence est d’or et la parole est d’argent. Mettons! Mais l’un comme l’autre possède sa brillance universelle, olympique même devrions-nous dire par ces temps de célébration des nobles performances humaines.

Ce couple heureux, ces frère et sœur harmonieux que sont Parole et Silence me sont toujours expression, fascination, charme et, plus fort encore, Silence et Parole me sont rebelles. Exactement un mois, le silence a pris la parole de mon père –en réalité Notre père, nous plongeant dans un deuil particulièrement révélateur de la force de l’écoute. Redécouvrir l’écoute, c’est restituer le lien puissant qui prévaut entre Silence et Parole. À l’écoute de l’acte du silence de Notre père, toute sa parole reprend vie, sourire, spontanéité, serviabilité, humilité, simplicité, universalité, noblesse.

Loin de Notre père se retrouve la proximité de Gabriel Nadeau-Dubois. Gabriel Nadeau-Dubois aurait pu se voir déjà, mais voilà qu’il s’accorde du silence parlant, de la vraie parole silencieuse, lui jadis porte-parole de la CLASSE, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante. Stigmatisé par un parleur et corrompu Premier ministre –sauf respect pour la fonction, Gabriel Nadeau-Dubois n’incarnait pas moins qu’une prise de parole des silencieux citoyens indignés d’un Québec outragé qui, longtemps, va devoir payer ce règne loufoque d’un Charest intégralement incompétent.

Naturellement, le jeune et prometteur Gabriel Nadeau-Dubois écrit dans sa Lettre de démission publiée par Le Devoir montréalais: « Je pars avec un seul regret. Je regrette de quitter mes fonctions alors que le Québec est toujours dirigé par Jean Charest, un premier ministre méprisant et violent envers le Québec et sa jeunesse. Gaz de schiste, corruption, Anticosti, Mont-Orford, hausse des droits de scolarité, taxe santé : la liste des tromperies, des mensonges, des scandales et des attaques à la population de ce gouvernement est trop longue.

Et lorsque la jeunesse s’est élevée contre ces absurdités, M. Charest n’a trouvé comme réponse que la dureté des matraques et l’acidité des lacrymogènes. À l’imagination de ma génération, il n’aura répondu que par la répression et le mépris. Devant une mobilisation généreuse et fondée sur des principes, il n’aura répondu que par des attaques personnelles et dégradantes.

Depuis le début de notre grève, il n’a reculé devant aucun moyen pour nous briser, autant comme mouvement que comme personnes. La loi spéciale et la brutalité policière se sont doublées d’atteinte à la réputation, de filatures, de déni du droit d’expression, d’interrogatoires injustifiés par la police, d’attaques nominales à l’Assemblée nationale, de sous-entendus constants que notre organisation était à la frontière du terrorisme : tous les coups ont semblé permis, qu’importent les effets sur la jeunesse. Pour un premier ministre qui souhaite tellement que le mouvement étudiant dénonce la violence et l’intimidation, je trouve que Jean Charest a fait preuve à l’endroit des étudiants et à mon endroit d’une charge de violence inouïe. (…)

Ce manque de respect envers la jeunesse et ses porte-parole n’a d’égal que le mépris généralisé du bien commun qui règne au Parti libéral du Québec. Ce gouvernement n’a pas le droit de donner de leçon de démocratie : il est l’incarnation même de la corruption et du détournement des institutions publiques.

Ce premier ministre, au fond, n’est que le symbole d’une société bloquée qui n’a comme aspiration que de s’abaisser au même niveau de bêtise que ses voisins. Les universités américaines et ontariennes ne sont pas des exemples, pas plus que leur système de santé. Nous ne voulons pas suivre le chemin qu’elles indiquent et qui mène à la marchandisation de nos vies


Avec une telle prise de parole éloquente et traductrice de mal-être ambiant, il est devenu normal que le jeune Gabriel reprenne son souffle par le détour du salutaire silence. Mais il est là et il reviendra à coup sûr, pronostiquent les uns et les autres. Jean Charest lui-même devrait en être malade, à en croire le journal La Presse : « Chose certaine, s'il y a quelqu'un qui doit déjà regretter amèrement le départ de Gabriel Nadeau-Dubois et qui perd en lui un «allié» sûr et un bouc émissaire idéal, c'est le premier ministre Jean Charest. Sans Gabriel, haranguant les foules, le regard clair, le poing levé, la voix pleine de colère, Jean Charest n'aura plus d'épouvantail à agiter, plus de démon blond à accabler de tous les torts de la terre. Sans Gabriel comme porte-étendard de l'incurie sociale et de ses violents débordements, le roi sera nu et obligé de rendre des comptes sur personne d'autre que lui-même. »

Au Québec, malheureusement, les élections ne se font pas sur la base des bilans et des compétences politiques. Au Québec, chaque élection, chaque nomination, chaque choix est un référendum : Fédéraliste / Souverainiste Oui ou Non ? Être premier ministre au Québec n’est plus une preuve de compétence politique, une tartufferie politique ou presque. Aux funérailles de Notre père, j’y échappe cette fois-ci, si silencieusement qu’il ne me restera que l’écoute pour mieux prendre la parole à mon retour. Heureusement, Notre père n’était pas Premier ministre, il était et demeure Président!


Silence


Rédigé par psa le 10/08/2012 à 08:48