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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Voici qu’un président secoue tout le continent sud-américain : José Mujica, dit Pépé, de l’Uruguay, un ancien guérillero Tupamaros qui a passé quinze ans de sa vie derrière les barreaux de la dictature et qui maintenant fait preuve d’une probité inédite à la tête de son pays. En dépénalisant l’avortement et en projetant l’étatisation du commerce de la marijuana, l’Uruguay bouscule des certitudes que l’on pensait immuables sur tout le continent. Jeudi dernier, Pépé déclarait à La Plata en Argentine, devant de jeunes universitaires pratiquement en adoration et en délire devant lui: "Les grands libérateurs de l'Amérique latine n'ont pas de patrie, ils sont la patrie» de tous et de chacun. On connait Mandela et, Lula; il est temps de découvrir Pépé.


Le Mandela de l’Amérique du Sud
«Grâce à cette loi, de nombreuses vies de femmes seront épargnées», a déclaré le président de l’Uruguay suite à l’approbation mercredi dernier par le parlement d’un texte ¬faisant de son pays le premier d’Amérique du Sud à dépénaliser l’avortement. Le parlement avait déjà approuvé une loi similaire il y a quatre ans, mais Tabaré Vazquez, le médecin président de l’époque, y avait opposé son veto. José Mujica, président depuis mars 2010, a quant à lui toujours dit ne jamais vouloir faire usage de son droit de veto envers une loi approuvée par l’assemblée. Une attitude loyale vis-à-vis du Frente Amplio, le parti qui l’a porté au pouvoir, et qui caractérise toute la vie politique de celui que certains n’hésitent pas à surnommer le Mandela de l’Amérique du Sud.

Né il y a 77 ans dans les environs de Montevideo, la capitale, José Mujica en a tout juste 6 lorsque son père, petit propriétaire terrien, meurt ruiné. Pepe, diminutif de José en espagnol, achèvera sa scolarité obligatoire dans les écoles de son quartier, mais ne terminera pas le collège préparatoire à la faculté de droit. Il s’initie alors à la politique grâce à un oncle admirateur d’un Peron qui fait rêver les plus pauvres sur l’autre rive du Rio de la Plata, en Argentine. Pepe a 21 ans lorsqu’il est nommé secrétaire des jeunesses du parti national, éternel rival du parti Colorado au pouvoir. Dans les années 60, il se radicalise et intègre le mouvement de libération des Tupamaros, promoteur de la guérilla urbaine. Atteint six fois par les balles de la police, José Mujica passera 15 ans en prison.

Libéré en 1985 au retour de la démocratie, José Mujica reprend sa vie de militant et sera élu député en 1994. Nommé en 2005 ministre de l’Agriculture sous la présidence de Tabaré Vazquez, premier président de gauche post-dictature, José Mujica lui succédera quatre ans plus tard. Arrivé au pouvoir, il lance rapidement un plan de construction d’habitations pour les plus démunis, un plan original puisqu’il demande aux futurs habitants de s’impliquer dans la conception de leur logement. Le financement est assuré par son salaire de président et par la vente des biens de l’État tombés en désuétude, comme l’ambassade de Buenos Aires.


Fleuriste, végétarien et Chef d’État le plus pauvre au monde

Pepe fait la fierté des Uruguayens et l’admiration des Argentins voisins. En effet, le président fait preuve d’une probité inédite en Amérique du Sud. José Mujica loge toujours dans sa modeste ferme familiale, dans la banlieue de Montevideo, où, avec sa femme, il cultive les fleurs qui font tourner la petite affaire familiale. Non content d’être végétarien dans un pays où la consommation de viande est élevée en dogme, le fleuriste a toujours déclaré qu’il ne croyait pas en Dieu. Deux convictions qui le situent plus proche d’un Martien que d’un compatriote aux yeux des Uruguayens qui, néanmoins, se retrouvent en harmonie avec leur président. Il est désormais entendu que la démocratie « A La Uruguaya » n’aime pas les dirigeants autoritaires et portés vers la confrontation politique : Pepe est bien de ce genre humain. En plus de donner 90% de son salaire de président pour des actions publiques dont l’éducation, il dit être en mesure de vivre avec encore peu de moyen, s’il n’est pas président du pays. Encore que Pepe n’a aucun compte bancaire en son nom, n’a remplacé son scooter Vespa par une coccinelle Volkswagen que peu de temps avant sa prise de fonction en 2010, et reconnait que les gens puissent dire qu’il soit le chef d’État le plus pauvre du monde… Pepe est exigeant de lui-même avant d’etre adulé de toute l’Amerique latine.

Il faut écouter Pepe lui-même décrire sa vie modeste conforme aux attentes de nombreux Uruguayens, jeudi dernier, le 18 octobre 2012, lorsqu’il recevait un Doctorat honorifique de l’Université nationale de La Plata (UNLP), en Argentine : «J'ai découvert les clés de cette vie dans les cellules de la prison, quand je ne pouvais même pas lire. Si je n'avais pas passé ces années là, je ne serais pas qui je suis, car on apprend plus de la douleur que du bonheur. » Se défendant de prôner la pauvreté, Pepe ajoutait : «C'est pourquoi, la nuit où j'ai eu un matelas, je me sentais heureux. Comment est-il possible, par conséquent, que nous passons nos vies empoisonnées avec désespoir pour acheter une nouvelle voiture tous les deux ans? Si je le pouvais, je vivrais beaucoup plus simplement. » Les applaudissements des étudiants et de ‘assistance ont été particulièrement sentis au prononcé des phrases suivantes : "Les pauvres sont ceux qui exigent beaucoup", "Je ne prône pas la pauvreté, je défends la sobriété", "On apprend plus de la douleur que du bonheur ", "La vraie liberté est dans la tête", "Vivre sa vie, est court, éphémère, beau, ne la laissez pas s’envoler", "Les grands libérateurs de l'Amérique latine n'ont pas de patrie, ils sont la patrie".

Il demeure que la dépénalisation de l’avortement a provoqué un électrochoc en Uruguay. Les débats ont été vifs, à l’image de ce qu’ont pu connaître bon nombre de pays occidentaux. La victoire ne semble pas encore tout à fait acquise, les opposants soutenus par une Église hors d’elle ont déjà brandi la menace du référendum. Ce qui n’empêche pas les artisans de la loi de dormir, les derniers sondages indiquant que les Uruguayens étaient pour à 52% et contre à 34%.

Autre dépénalisation en vue, celle de la marijuana. Le président uruguayen veut nationaliser son commerce pour mieux contrôler la délinquance et mieux s’occuper des toxicomanes. «Le problème ce n’est pas la marijuana, mais le narcotrafic», a-t-il récemment déclaré pour justifier son initiative.

Atypique, José Mujica n’a cependant pas que des admirateurs: nombre de ses compatriotes estiment que la délinquance, problème numéro un des Uruguayens, n’a pas diminué, et que le nombre de ses actions est inversement proportionnel à celui de ses promesses. Mujica n’en a cure, il veut faire de son pays un pays développé, tout au moins dans les mentalités. Souvent comparé à la Suisse pour son secret bancaire, l’Uruguay pourrait bientôt l’être aux Pays-Bas pour sa politique sociale. /////////Pierre Bratschi

Horizon


Rédigé par psa le 23/10/2012 à 08:42