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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Humilié par un lancer de chaussures en plein tribunal. Menacé de mort par les talibans pakistanais. Accusé de «trahison» et empêché de se présenter comme député dans plusieurs circonscriptions: le grand retour au pays que l’ancien président Pervez Musharraf rêvait triomphal s’avère laborieux. L’ancien président rêvait de participer au prochain scrutin législatif. Depuis son retour au Pakistan le 24 mars dernier, il accumule déboires et déconvenues. Il retourne au tribunal ce lundi. Quand ça va mal… Tout va mal.


Pervez Musharraf , le retour
Pervez Musharraf , le retour

Après quatre ans d’exil entre Londres et Dubaï, le général à la retraite de 69 ans est rentré le 24 mars au Pakistan, pays qu’il avait dirigé d’une main de fer après un coup d’État en 1999 (alors qu’il était chef de l’armée), jusqu’à être contraint à la démission en 2008. Tout n’avait pourtant pas si mal commencé: la justice avait temporairement gelé les mandats d’arrêt contre lui concernant les meurtres de l’ex-première ministre Benazir Bhutto en 2007, d’un chef indépendantiste baloutche en 2006 et le renvoi illégal d’une soixantaine de juges, lui permettant de rentrer s’en être arrêté et de participer aux élections générales (législatives puis présidentielle) des prochains mois.

Sa liberté sous caution vient d’être prolongée jusqu’à jeudi. Pour la première fois depuis l’indépendance du Pakistan en 1947, un gouvernement civil vient d’achever son terme de cinq ans sans coup d’État, une véritable avancée démocratique dans la seule puissance nucléaire du monde musulman.

Les prières de Musharraf, arborant sa fine moustache poivre et sel et une Shalwar-Kameez blanc immaculé à son arrivée à Karachi ainsi que les pétales de roses de bénédiction lancés par les quelques centaines de partisans venus l’accueillir n’y ont rien fait: le manque d’enthousiasme des Pakistanais à son égard est flagrant, et les mauvaises nouvelles se sont depuis lors accumulées.

D’abord, les talibans pakistanais, qui vouent une haine à l’ex-général pour avoir donné l’ordre d’un assaut sanglant contre des islamistes retranchés dans la Mosquée rouge en 2008, ont promis de l’envoyer «en enfer», provoquant l’annulation de ses conférences de presse et des grands rassemblements prévus.

Ulcérée par le retour du «dictateur» comme ils l’appellent, l’influente communauté des avocats s’est également mobilisée. L’un d’entre eux l’a même visé lors d’un lancer de chaussures raté pendant une audience à Karachi. Une humiliation retransmise sur de nombreuses chaînes de télé pakistanaises. La Cour suprême du pays examine en outre une plainte déposée par un avocat visant à juger Musharraf pour avoir «trahi» la Constitution en imposant l’état d’urgence à son arrivée au pouvoir. L’audience dans cette affaire doit reprendre ce lundi.

Enfin, sa candidature dans trois circonscriptions (sur les quatre où il peut se présenter selon le système pakistanais) a été rejetée après des plaintes d’avocats en vertu d’articles de la Constitution déterminant des prérequis pour les candidats. Son parti a fait appel, notamment pour la circonscription de Karachi, où il bénéficie d’un certain soutien. Sa candidature a cependant été acceptée à Chitral, petite ville de l’extrême nord du pays, où il a des chances d’être élu. Son parti, All Pakistan Muslim League (APML), créé en exil fin 2010, reste cependant très minoritaire.

Pourquoi Musharraf, déjà visé par des tentatives d’assassinat par le passé, s’est-il lancé dans ce retour à haut risque? Il affirme vouloir «libérer» le Pakistan du terrorisme et remettre l’économie sur les rails. Sous son règne, le pays avait connu une libéralisation des médias, mais aussi une embellie économique qui avait vu la classe moyenne se développer. Le gouvernement civil sortant, dirigé par une élite richissime méprisant le reste des Pakistanais moins fortunés, a de son côté été très critiqué pour ne pas avoir su gérer une crise de l’énergie et de l’économie désastreuse, ni contenir la montée de l’extrémisme et des violences sectaires.

«Jamais de telles attaques contre les minorités religieuses n’ont eu lieu sous la présidence de Pervez Musharraf!» s’exclame une porte-parole de l’APML, Aasia Ishaque. «Il est le leader qui a apporté de la sécurité et la stabilité économique dans la région, nous espérons que les électeurs sauront s’en souvenir», commente-t-elle.

Mais, selon les analystes, une majorité de Pakistanais estime qu’en ayant déjà passé neuf ans au pouvoir, l’ex-président a «fait son temps». «Musharraf pense qu’il a encore assez de soutien populaire pour revenir en tant que force politique ici, mais c’est une illusion», explique le général à la retraite et analyste Talat Masood. «À l’heure actuelle, je ne lui vois pas d’avenir politique: même s’il est élu, il n’aura aucun poids comme seul député de sa formation, et tous les autres partis se ligueront contre lui», ajoute de son côté l’expert Hasan Askari Rizvi.

Surtout, la puissante armée pakistanaise, considérée comme l’institution la plus stable du pays face à un gouvernement sortant fragile et impopulaire, semble prendre ses distances, elle aussi, avec l’ancien président. Selon plusieurs observateurs, elle serait même «embarrassée» par ce retour et les ennuis judiciaires de celui qui était aussi le chef de l’armée. «L’armée préférerait qu’il reste en dehors de la politique; elle ne souhaite pas non plus que les ennuis judiciaires d’un ancien de ses chefs jettent l’opprobre sur l’institution», résume Hasan Askari Rizvi.

Pervez Musharraf, qui aura 70 ans en août, a-t-il une chance politique à plus long terme? Selon Talat Masood, il ne pourra jouer qu’un rôle «mineur». «Il faudrait qu’il construise d’ici là une véritable structure de parti, qu’il forge des alliances avec les forces politiques qui ont de vrais réservoirs de voix dans les provinces», poursuit l’analyste.
Pour le moment, l’ancien homme fort d’Islamabad, qui reste très inquiet pour sa sécurité, vit reclus dans sa ferme de la banlieue de la capitale, et multiplie les réunions avec les cadres de son parti. Ses rares déplacements sont destinés à se rendre au tribunal, et ils impliquent la mobilisation de l’armée, de la police, d’agents du renseignement et même de tireurs d’élite pour le protéger… «Il aurait bien mieux fait de rester en exil, pour écrire un second livre de mémoires et gagner plus d’argent!» ironise Hasan Askari Rizvi.//////////// Lucie Peytermann


Horizon


Rédigé par Pierre S. Adjété le 14/04/2013 à 21:45