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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Résumons. Quel fragile destin que celui de l’opposition togolaise! La dernière élection démocratique connue, ouverte et documentée au Togo date du dimanche 27 avril 1958. Au siècle dernier. Et depuis, rien! Il est donc temps que les élections redeviennent crédibles au Togo... Entre temps, en éternelle condamnée à mort, l’opposition togolaise est obligée de toujours descendre aux enfers, et à chaque autre élection chercher à renaître de ses cendres, de ses propres querelles et des nombreux pièges qui lui sont tendus. Car, comme un excès de vitesse, l’excès de victoire du pouvoir présidentiel togolais –régnant depuis 1963, devient dangereux et retarde l’avènement de l’alternance, de la démocratie et du développement pour tous les citoyens. Manifestement, le Togo traverse un moment de doute politique où toutes les idées doivent concourir à des perspectives salutaires. Un noble rêve qui doit devenir réalité!


Un JFK admiratif devant MLK après l'historique "I Have a Dream"
Un JFK admiratif devant MLK après l'historique "I Have a Dream"


Jamais défi n’aura été aussi grand pour l’opposition togolaise : condamnée à réussir l’impossible. Au lendemain d’une élection législative dont les résultats ont encore une fois été fabriqués, littéralement, ailleurs que dans les urnes; au lendemain d’une élection législative dont les résultats à la hussarde, donc à la togolaise, sont attribués ex-nihilo à chaque parti politique participant, selon le vouloir incrédule des officines du parti au pouvoir; au lendemain d’une élection législative dans laquelle la popularité du terrain et le désir de changement sont purement et simplement violés; au lendemain de tout cela, les regards se tournent désormais non pas vers les têtes qui toujours règnent, sombrent et déçoivent mais vers les têtes qui récidivent en pensant obstinément et en activant un autre Togo.

C’est un fait, et il faut le rappeler: le Togo actuel est loin d’être satisfaisant puisque son peuple n’a pas le présent enthousiaste; ses votes sont constamment et systématiquement spoliés. Heureusement, ce peuple possède encore et néanmoins son propre avenir. Mais quand arrivera-t-il cet avenir? Observons. Les 62 députés du pouvoir présidentiel togolais sur 91 élus possibles ne sont nullement le reflet de la volonté libre des Togolaises et des Togolais : ces 70% des députés ne représentent pas 70% des Togolais; 7 citoyens sur 10 n’ont nullement choisi de continuer avec un pouvoir cinquantenaire. Il se pourrait même que ce soit exactement le contraire, sinon pire, pour ce pouvoir présidentiel s’il faisait face à des élections crédibles, face à la volonté du peuple togolais du nord au sud et de l’est à l’ouest; pour la diaspora togolaise, n’en parlons même pas.


C’est pourquoi certains Togolais, à l’instar de Tido Brassier et Comi Toulabor, trouvent la fraude tellement exagérée qu’ils restent abasourdis et investigateurs : « Comme si les commotions et les irritations qu’ont entraîné les emprisonnements pour des motifs obscurs de Kpatcha Gnassingbé, ancien ministre de la Défense et frère cadet du chef de l’État, de Pascal Bodjona, ancien tout-puissant ministre de l’Administration territoriale, d’Abass Kaboua, président d’un parti d’opposition, tous natifs de la Kozah, les grèves, les incendies de marché, les manifestations d’étudiants, le chômage, la répression, les arrestations arbitraires et la pauvreté crasseuse (…) ne peuvent influencer le vote des populations que le pouvoir des Gnassingbé –père et fils- a consciencieusement enfermées dans le piège d’un tribalisme nauséeux.» D’autres citoyens togolais comme Antoine Kodjo Épou et Sénouvo Agbota Zinsou, toujours dubitatifs, interrogent même la mollesse avérée de l’opposition togolaise lors de la rentrée parlementaire consécutive au hold-up électoral d’une telle ampleur, au point de restituer les sourds propos triomphateurs du pouvoir présidentiel togolais : « Nous vous aurons les uns après les autres, de différentes manières ». Au fond, de nombreuses têtes chercheuses togolaises sont dans le doute politique salutaire, et en sont arrivées à convenir avec la psychologue Lesley Hazleton que: « Assister à ce qui se passe, vouloir que cela change et n'être capable de rien est totalement autodestructeur. » Tout un drame humain ! Et c’est aussi là un des drames togolais, cette forte tentation de l’abandon et de l’inaction des uns face aux victoires frauduleusement programmées des autres.


Des résultats électoraux illogiques et incongrus
C’est une loi démocratique chez les humains, où qu’ils exercent leur choix politique. Jamais et nulle part ailleurs à travers le monde, si ce n’est sous le règne de la dictature, les humains ne choisissent les mêmes gouvernants ou système, cinquante ans durant. Au Togo, voilà que cette soif naturelle du changement est ostensiblement refusée par les tenants du pouvoir présidentiel, un pouvoir conçu comme éternel, sans même l’ouverture vers la cohabitation avec ses opposants légitimes. C’est la preuve, à suffisance, que les tenants de ce pouvoir veulent pousser le peuple dans le dos, le pousser et le forcer à entrer dans un paradis contre son gré, un paradis perdu. « Nous sommes les seuls dirigeants qu’il vous faut! » disent-ils au peuple togolais, de gré ou de force.

C’est connu dans toutes les sociétés, c’était même écrit depuis bientôt deux siècles dans Les Misérables que « C’est une chose assez hideuse que le succès », ce succès électoral là. Car, « Sa fausse ressemblance avec le mérite trompe les hommes» et particulièrement les tenants du pouvoir togolais. Voilà que le succès des uns, les mêmes, fait encore l’incertitude et la misère du statu quo de tout un pays dépossédé du moteur socio-économique qu’est l’enthousiasme du changement et son indispensable espoir qu’il distille partout.

Voilà pourquoi tant de personnes ne peuvent ou ne veulent ranger leurs ambitions pour le Togo et qu’ensemble, Nous, citoyennes et citoyens, ressentons la commune responsabilité, une fois encore, de battre campagne pour l’unité d’action des partis politiques ouverts au changement et à l’alternance politique. Voilà pourquoi, le découragement, la lassitude et la partisannerie doivent se dissoudre dans un nouvel élan de détermination et d’ouverture aux autres adeptes du changement. Le Togo doit changer; ce pays ne peut se faire par seulement un seul camp, le même, qui n’a pu donner que ce qu’il possède déjà… Insuffisant!

Avec les dernières législatives, l’unité d’action de l’opposition togolaise a été raisonnablement réalisée, particulièrement dans les actions convergentes, visibles et efficaces des partis politiques du Collectif Sauvons le Togo (CST); probablement une des grandes avancées de l’opposition togolaise et qui a même servi de détonateur à la Coalition Arc-en-ciel (AEC). Cette unité d’action –les querelles du véritable chef de l’opposition officielle en moins, s’est révélée être le seul moyen d’éviter les erreurs et la damnation du passé où des leaders talentueux ne pouvaient s’entendre durablement au Togo. L’improbable unité d’action de l’opposition togolaise –pourtant réalisée presqu’entièrement avant ces dernières législatives, devient un joyau à préserver et à améliorer. La tâche immense revient ainsi aux chefs des partis politiques de l’opposition togolaise de continuer à tisser cette trame d’unité active dans leurs projets et face aux échéances futures.

Le Togo ne peut émerger sans une opposition politique aguerrie et capable de faire face, non seulement aux avaries constantes des résultats électoraux toujours incongrus, mais aussi faire face adéquatement aux défis de la gestion professionnelle de la chose publique et de l’indispensable réconciliation préalable au développement du pays. L’opposition togolaise doit constituer véritablement une alternative face à la persistance des erreurs stratégiques issues du manque d’élégance politique et de déni de démocratie du pouvoir présidentiel.


Présidentielles 2015 sous l’égide d’une organisation neutre et crédible
La chute constante des indices de la démocratie au Togo démontre une infirmité sévère des tenants du pouvoir que la configuration unilatérale de la nouvelle Assemblée nationale ne peut corriger. Cette configuration asservie, biaisée, contrefaite, difforme, édentée et falsifiée est le symptôme même de cette lourde infirmité démocratique. C’est donc au-delà de l’institution parlementaire actuelle qu’il faut persévérer dans la lutte pour un Togo nouveau, un Togo Yéyé véritable, un Togo ouvert sur toutes les idées réformatrices. Désormais, l’Assemblée nationale togolaise est bien en dehors de ses propres murailles, dehors avec le peuple et sa volonté de changement : dehors et de partout c’est l’Assemblée des idées, des pensées, des actions, l’Assemblée des esprits.

Au point de ce douloureux drame togolais (où nous sommes tous arrivés), il ne reste plus rien d’autre que la honte à vouloir croiser les bras, tourner le talon, dormir et attendre qu’un dieu vienne délivrer les Togolais. Tout un pays est devenu misère, faim, épreuve, compromission, rivalité, mensonge, déshonneur, trahison, crime, incompétence, incapacité, récidive, gloutonnerie, fausseté, incarcération, prison, oppression, tyrannie, déraison, indifférence, désinvolture, résignation; il est arrivé au Togo et à ses citoyens tout ce qu’il y a de désolant.

Mais c’est une erreur de croire qu’une fois le fond des fonds touché, le Togo remontera tout seul. Le pire, c’est que le Togo peut rester dans la boue, au fond dans le vase et la gadoue, longtemps. D’autant plus que les lois volages qui sortiront de ce parlement, aux ordres, ne feront qu’empêcher l’éclosion d’un renouveau politique démocratique, particulièrement lors des présidentielles de 2015. Ce grand rendez-vous électoral doit impérativement se faire sous l’égide d’une organisation neutre afin de respecter la volonté du peuple togolais, faciliter la réconciliation et précipiter l’émergence économique ainsi que le développement intégral du Togo. Le Togo ne peut plus de permettre se toujours faire des élections décrédibilisées aux lendemains incertains. Parce que l’incertitude politique est loin de finir au Togo, des actions doivent être envisagées et prises pour le meilleur du Togo et la stabilité même de la sous-région. L’Afrique de l’ouest ne peut plus se permettre quelque zone ou facteur de turbulence que ce soit.

Au Togo, le diamètre de l’Assemblée nationale qui vient de s’ouvrir s’étend désormais à tous les citoyens épris de démocratie, où qu’ils soient, où que vous soyez. Car, trop c’est plus qu’assez pour un seul peuple si longtemps martyrisé, un peuple excédé, mais un peuple décidé, un peuple que la Liberté ne fatigue pas. C’est à son seul service que les idées doivent encore une fois converger dans une unité d’action sans faille, et pour contrer cet excès de victoire dangereux à la démocratie et à la nation entière. Résolument, entre réalité et rêve, un autre Togo doit advenir… Quoi de mieux que l’exprimer fortement en ces jours mémoire et certitude du fameux I Have a Dream de Martin Luther King; le rêve d’un Togo démocratique qui ne peut que devenir réalité. De toutes les façons, il est trop tard pour désespérer. La démocratie, l’alternance autant que le Grand Pardon et la confiance doivent jaillir de partout au Togo, pour le plus grand bien de tous ses enfants : une Nation togolaise réconciliée nous reste toujours à bâtir.

Et pourtant, Noir n’est pas funèbre. Parti au Maroc à l’image de milliers d’autres Sénégalais, Ismaïlia était à la quête d’un meilleur avenir. Hélas, au détour d’une altercation pour une place numéroté dont son ticket le rendait pourtant occupant, le racisme a eu raison de lui, froidement poignardé le 14 août 2013 à Rabat par un… militaire. En hommage à Ismaïlia Faye, Tina M. (une jeune ivoirienne de 16 ans agressée et violée par quatre policiers en août et Alex Toussaint (enseignant congolais de 40 ans qui trouva la mort pour avoir été arrêté et jeté d'un bus par un policier marocain en juillet), cette Marocaine se dresse contre le racisme ambiant dans sa société…


Ismaïla Faye
Ismaïla Faye
Je suis marocaine et j’ai honte de moi-même. Non que je ne sois pas porteuse de belles valeurs. Mais je vois se craqueler ma noblesse porcelaine. Mes lâches silences face à l’ignominie ôtent toute sa beauté à mes grands discours humanistes et mes honorables pensées sur la justice et l’égalité entre les Hommes.

En moins de deux mois, Tina M., Alex Toussaint et Ismaila Fay ont payé de leurs vie et dignité, le prix d’un rêve. Celui d’une vie meilleure dans un pays voisin, ami et frère. Ils y ont cru. Quoi de plus naturel que de trouver refuge, espoir et sécurité chez cet autre qui ouvre grands ses bras à l’étranger et à la différence? Quelle désillusion pour toi Mon Frère ! Quand tu n’as pas connu le mépris de l’autre, quand tu n’as pas vécu la solitude parmi « tes frères », tu es passé, invisible, sous les yeux de la plupart.

Pour toi Mon Frère, je fais mon mea culpa et je te dévoile ma face honteuse. Pour toi Mon frère, je dis tout ce que je fais semblant de ne pas entendre. Comprends que je veux te regarder dans les yeux, sans honte car…

Quand je ne trouve aucun mal à ce qu’on appelle nègre, Âazzi, Âabd ou Kahlouch, le jeune homme qui porte la couleur de ma terre sur sa peau, j’ai honte de moi…
Quand je souris, même gênée, lorsque ma mère me demande de ne pas lui ramener un mari noir, au fond, j’ai honte de moi…

Quand je ne commente pas lorsque mon voisin me raconte fièrement comment il s’est opposé à la location de l’appartement du 5e à un jeune couple noir, j’ai honte de moi…

Quand je n’émets aucune objection à ce que l’épicier me serve moi la première, en expliquant que la cannibale derrière moi peut se nourrir de viande crue, j’ai honte de moi…

Quand je ne réponds pas au chauffeur de taxi qui refuse de transporter des noirs sous prétexte qu’ils sont bruyants, râleurs ou qu’ils sentent mauvais, alors que lui-même pue à des kilomètres, j’ai honte de moi…

Quand je ne lève pas le petit doigt pour arrêter le serveur de café qui chasse le mendiant noir tout à fait discret, alors qu’il vient d’offrir des pièces à un mendiant marocain, j’ai honte de moi…

Quand je laisse des enfants pincer des jeunes étudiantes dans mon quartier, ou s’agripper à leurs fesses pour simuler un acte sexuel, sans un mot pour les réprimander, j’ai décidément très honte de moi…

Quand je ne réagis pas au viol d’une jeune adolescente par quatre policiers, alors que je milite de tout mon être contre l’abomination du viol, j’ai encore honte de moi…

Quand j’apprends qu’un père de famille a été maltraité et a trouvé la mort, n’ayant pour tout crime que sa couleur foncée, j’ai très honte de moi…

Quand je vois l’indifférence de mes compatriotes via à vis de l’assassinat d’un sub-saharien par un malfrat marocain et qu’elle me renvoie l’image de ma propre inaction, j’ai honte de moi…

Quand je vois le sourire de Dakar ou la fraicheur d’Abidjan m’accueillir à l’aéroport, pendant mes séjours professionnels, quand je sens la chaleur qu’on me réserve parce que je viens du Maroc, j’ai définitivement honte de moi…

Quand à mon retour avec une délégation d’hommes d’affaires sub-sahariens, le gardien de voiture, pauvre et totalement méprisé par la société, s’estime heureux de ne pas être né noir, je me dis qu’il y a déséquilibre dans le déséquilibre…

Dire que nous nous targuons de la foi musulmane qui a aboli l’esclavage et les différences entre les Hommes. Dire nous avons subi et continuons à subir toutes les formes de discrimination dans les pays étrangers, aussi bien occidentaux qu’orientaux : de l’islamophobie, de l’arabophobie et de la maghrebophobie. Dire que nous nous vantons que le Maroc est le portail de l’Afrique, alors qu’il en est tout simplement le geôlier. Nous sommes un pays qui a oublié ses origines…

Que connaissons-nous de l’Afrique?
Qu’avons-nous de ce continent, à part quelques mètres carrés de terre et cette volonté de fuir de l’autre côté de la mer? Où voulons-nous échouer loin de la terre de nos racines et les millions d’âmes qui la peuplent?

Comment pouvons-nous voiler les empreintes d’africanité qui nous collent à la peau? Comment pouvons-nous nous aimer, si nous sommes incapables de voir sur nos miroirs, notre part noire? Noire comme l’étendue de la nuit, comme la peau d’un tambour séculaire, comme la richesse des oliviers de nos terres, comme le sol de nos contrées… Noire comme la vie avant d’embrasser la lumière… Noir n’est pas funèbre…


Mot à Maux


Rédigé par psa le 23/08/2013 à 15:31



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