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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Je reste admiratif et dubitatif de tous ces talents africains qui proclament que « Laurent Gbagbo capturé par la France, la lutte doit continuer ». Quelle lutte? Celle de faire revenir Laurent Koudou Gbagbo au pouvoir en Côte d’Ivoire? Une lutte contre la France? La réponse doit probablement figurer dans le texte en question, implicitement ou explicitement. Sans doute! Un texte qui, naturellement, ne fait pas partie de mes lectures. Mais encore, si seulement cette lutte existait, elle restera la réponse de la faillite et du naufrage complet de l’intellectualisme chiffonnier qui oublie que la lutte, la seule lutte qui vaille, est celle de la dignité et de l’éthique; celles-ci sont humaines avant d’être africaines. C’est pourquoi à la place des écrits de nos derniers-nés révolutionnaires, « Gbagbo et le fantôme d’Houphouët » de Tiburce Koffi harponne juste, et décrit notre gêne devant cette « symbolique pour Laurent Gbagbo: une humiliante arrestation dans la résidence de celui qu'il a toujours combattu, Félix Houphouët-Boigny, le père de l'indépendance. » Aujourd’hui, il faut aider la Côte d’Ivoire à se redresser, à se restaurer. Bravo Tiburce ! Gbagbo n’a rien été qu’un véritable chao politique, et tu le décris bien : « Gbagbo Laurent, l’opposant superbe d’insolence, le chef d’État ivre de morgue hautaine » ; clairement, une faillite politique à se cacher le visage.


La faillite du destin Gbagbo
Lundi 11 avril. Sur le point d’entamer une séance de travail, je reçois un coup de fil m’annonçant la capture de Laurent Gbagbo. «Encore une nouvelle fausse qui va inutilement nous mettre dans l’euphorie, comme ce fut le cas la semaine dernière», ai-je dit aux autres. Presque au même moment, tous les portables sont comme secoués d’appels frénétiques. Un réflexe: mettre la télé en marche. Et là, médusés, nous voyons défiler, sur l’écran, les images de l’arrestation de l’ex-chef d’Etat ivoirien. C’est un silence total qui s’empare de la salle; un silence qui sera bientôt rompu par les appels téléphoniques des chaînes de télévision et de radio de France et d’ailleurs, pressées de recueillir nos impressions et analyses sur la situation.

Ce qui me tétanise et me fige devant l’écran, ce sont ces images: Laurent Gbagbo tout en sueur, en tricot de corps; à côté de lui, assise sur un lit, l’air comme perdue, Simone. Ce qui me fige, ce sont ces images de la défaite, cette brusque capitulation: la déchéance. La sombre chute, la descente brutale, tant de ces signes, enfin palpables et indiscutables, de la fin de la folle course ―cette chevauchée ensorcelée, tempétueuse et tourmentée qui ne pouvait mener qu’à cela… à cela!

Laurent Gbagbo a été capturé! Le soulagement qui inonde nos cœurs est aussi lourd et pesant que l’angoisse de ces jours de cauchemars que nous a fait vivre, tout au long de son règne décennal (surtout cette dernière quinzaine), l’ex-chef d’Etat ivoirien; ce professeur d’histoire, agité; cet agitateur social devenu chef d’Etat en 2000 (par une insurrection populaire) et qui n’a jamais su se dévêtir du manteau d’anarchiste pour se comporter en dirigeant éclairé et sage; ce professeur d’histoire qui nous aura créé tant d’histoires…

Grandeur et décadence
Laurent Gbagbo capturé! Dans ma mémoire torturée par des sentiments contradictoires, ressurgissent quelques réflexions que je lui avais faites, dès son accession à l’exécutif, en octobre 2010. Rentré chez moi, des heures après, j’en ai retrouvé en parcourant les pages de Côte d’Ivoire, l’agonie du jardin, un essai que j’ai publié en 2010 sur la crise ivoirienne:
«Laurent, le pouvoir grise, c’est connu (…). La célébrité, la puissance, le pouvoir tracent le chemin qui mène vers les cimes qui, elles, préparent souvent à une chute brutale (…). La politique et la religion sont les deux moyens extrêmes dont disposent les hommes pour rendre leurs semblables libres et heureux. De ces deux moyens, la politique est certainement celui qui prépare à la fois à la grandeur et à la décadence

Cette scène de la chute brutale, ces images à la fois réjouissantes et insoutenables, j’en ai eu l’accablante prémonition depuis 2004 ―date de ma rupture avec ce régime composé de mes compagnons et camarades d’hier; mes camarades d’hier, ces militants de ce que nous appelions «la gauche ivoirienne»; ces amis avec lesquels j’avais tant conspiré contre le régime de Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993). C’était le temps du grand rêve et des projets exaltés. Et puis, il y a eu cette arrivée au pouvoir, après de longues années de lutte pour la conquête de l’exécutif. Le pouvoir! Ses tentations, ses dérives aussi, ses aveuglements et passions, le vertige qu’il provoque, tant de ces choses vaines qui ne déroutent que les esprits et les âmes fragiles.

Oui, j’ai vu venir cette chute. Alors, je n’ai eu de cesse d’alerter mes compagnons d’hier sur les risques qu’ils faisaient encourir au pays, dans la tempête de cette politique de la mauvaise gestion, cette politique inquiétante de la désinformation systématique, de la propagande xénophobe, de l’intolérance, de l’autoritarisme outrancier, de l’enrichissement illicite, des vols de deniers publics et, pis, cette propension inacceptable au crime. J’ai vu Michel Gbagbo, hier le bien-aimé-fils-du-président; Michel Gbagbo l’intouchable; celui-là même qui armait les étudiants de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire). J’ai vu aussi Simone! Ah, Simone!!! Que n’ai-je écrit et dit à l’endroit de tous ces exaltés d’une mauvaise cause ―la politique de la terreur...


Les naufragés de l’intelligence
Je me demande encore: comment ont-ils pu en arriver à de telles extrémités et, surtout, à croire qu’il était possible de continuer comme cela, sans que le peuple, notre peuple ―si éduqué aux valeurs de paix et de fraternité―, ne se révolte? Comment en sont-ils arrivés à croire que ce rapt électoral grossier, malhabile et dangereux pouvait être imposé à la majorité de la population ivoirienne et à l’opinion internationale? Comment comprendre que des gens qui ont fait les universités de Côte d’Ivoire, de France, des USA et d’ailleurs aient pu en arriver à de tels manquements, à toutes ces outrances intolérables?

La question cruciale à présent: à quoi nous auront donc servi tous ces livres que nous avons lus ou écrits, tous ces diplômes que nous avons (brillamment) obtenus, tous ces voyages que nous avons faits dans les pays productifs et sérieux, afin de nous instruire de leurs expériences pour mieux servir notre pays? A quoi, finalement, nous aura servi l’étude de l’histoire, de la philosophie et toutes ces sciences qui, en tout lieu et tout temps, ont instruit et construit l’Homme, surtout ceux de la race des dirigeants? Jean-Marie Adiaffi a posé la grave question avant nous: «Comment en sommes-nous arrivés là?» (Les naufragés de l’intelligence, roman).

En lieu et place d’ordinateurs et de classeurs, mes camarades d’hier, mes collègues, ont distribué des kalachnikovs aux enfants de ce pays. Et ils ont cru, eux aussi ―ces jeunes gens aux cerveaux dévorés par l’alcool et les versets bibliques des pasteurs, prophètes et autres sombres animateurs de la «galaxie gbagbo»―, que cette vie-là devait être la leur. Dix ans, dix années d’un règne épouvantable et improductif. Dix années de discours ravageurs, de vols et d’impudicités de tout ordre.
La route sera longue

Ah, Côte d’Ivoire, mon pays, comme longue aura été ton agonie! On n’ose même pas envisager, pour l’heure, l’étendue du désastre: hôpitaux, écoles, routes, le tissu économique, les valeurs éthiques et culturelles, la diplomatie, etc., tout cela détruit en l’espace de dix ans. Que le tragédien me prête ces beaux vers que je modifie à dessein: «Œuvre de tant de décennies en une décennie effacée.» Ah, Gbagbo! Comment as-tu fait pour mener ce peuple à tant de dérives entêtées? Pourquoi as-tu choisi de blesser jusqu’à ce point l’âme de ce pays? Qui pourrait jamais nous donner les réponses sûres à cette autre énigme insensée?

Le maître Zadi nous a toujours dit: «C’est toujours sur le terreau du silence des intellectuels que prospèrent les dictatures, car un seul homme ne peut en imposer à tout un peuple.» Comme me paraît éclatante, aujourd’hui, cette réflexion. Laurent Akoun, Félix Tanoh, Gnaoulé-Oupoh, Séry Bailly, Mamadou Koulibaly, Bernard Dadié et autres, comment avez-vous pu permettre et tolérer un tel désastre? Pourquoi cette complicité absurde, vous des intelligences et talents si avérés?
Laurent Gbagbo sera sans doute jugé; mais je ne peux m’empêcher d’écrire que cet homme n’aurait pu provoquer tant de bourrasque sans la complicité et le soutien (sans faille) de ces (nombreux) universitaires et cadres de notre pays qui l’ont encouragé et soutenu dans cette épouvantable aventure.

Laurent Gbagbo a été défait. L’homme qui nous éduqua à combattre (et parfois même à haïr) Houphouët-Boigny a fini son odyssée insensée, un jour du 11 avril 2011, dans les sous-sols de la résidence du prestigieux chef d’Etat disparu. Quelle symbolique descente aux enfers, lui dont les diseurs de belles paroles disaient qu’il était «l’Elu de Dieu»! Gbagbo Laurent, l’opposant superbe d’insolence, le chef d’Etat ivre de morgue hautaine, a été capturé… comme un vulgaire malfrat! Et je m’imagine, du petit appartement parisien qui a abrité mon «exil» et d’où je rédige cet article, la satisfaction, toute la satisfaction qui illumine le visage du patriarche que n’avait pas hésité à humilier cet homme arrogant. Gbagbo, c’est fini. La sombre histoire de la Refondation s’achève donc là. Et vive la Restauration de la Côte d’Ivoire! Alassane Ouattara, le chantier est vaste, qui t’attend.///// Tiburce Koffi


Ad Valorem


Rédigé par psa le 14/04/2011 à 08:45