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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




L’Église togolaise n’a pas toujours été un lieu de riposte, fidèle et constant, face à l’arbitraire. De temps à autre pourtant, il en déborde un trop-plein pour atteindre les citoyens. Le surgissement du « Soyons responsables dans la justice et la vérité », une Lettre pastorale, en est le parfait exemple. Jamais le clergé catholique n’aura été aussi loin dans ses propres responsabilités de dire la vérité sur l’inacceptable politique qui persiste au Togo ainsi que la tragi-comédie gouvernementale des artisans et partisans du système qui enserre les citoyens en les privant de l’alternance, par toutes sortes de subterfuges et de folklorisation de la démocratie, à toutes les occasions.


Au Togo, une main de Dieu se fait visible
Comme dans Les Misérables, n’en pouvant plus, tous « les prêtres de la république » finissent par donner des « hosties du devoir » et distribuer de la responsabilité à tous les citoyens. S’ouvre ainsi au Togo, une période particulière : la main de Dieu sème la dissidence et, en une voix unie, ses dignitaires prononcent la dénationalisation de l’indifférence, après avoir fait une démonstration solide de leur devoir d’intervention : #IdleNoMore ou #SilentNoMore dans un #ÉtatPatapa, c’est unique, c’est du sérieux et c’est du pain bénit. Du pur Jésus Christ en somme, infatigable au milieu des siens et toujours prêt pour la rédemption du pécheur, sans vengeance ni rancune.

Ce peuple reconnaîtra-t-il une telle occasion et saisira-t-il une opportunité si admirable pour se projeter audacieusement dans l’avenir? Pour l’instant, silence d’un côté émulation de l’autre et, au milieu, le grenouillage classique des éternels indécis qui n’ont jamais su quel dieu adorer, à quel saint se vouer, à quel camp appartenir, de quelle dépendance s’affranchir, à quelle lutte s’adonner.

Acculé par l’évolution de l’environnement politique tout autour du Togo, le pouvoir togolais tente des actes désordonnés d’apparence ouverte, catholique même, comme pour annoncer une soudaine conversion démocratique : retrait d’accusations fantaisistes et vexatoires, libération de personnes innocemment détenues, et tant pis pour les victimes aux vies hypothéquées. L’exception togolaise de non-démocratie couplée à d’institutionnelles menteries ne cesse de contrarier désormais : elle gène, elle manque d’air, elle suffoque, elle peut difficilement prospérer dans une saison si nouvelle et dans un monde si changeant où « les monstres disparaissent devant les anges et que la Fatalité s’évanouisse devant la fraternité » pour reprendre les propos d’Enjolras.

Véritablement, cette époque des lendemains démocratiques de tous les pays limitrophes du Togo –Ghana, Bénin et Burkina Faso, cette époque cesse d’être un simple intermède cyclique. Longtemps banale, l’époque actuelle devient un âge d’or pour la fin de l’inaction caractéristique de la « surprenante léthargie » qui voudrait taire le devoir de changement politique au Togo et faire accroire que tout va bien. Non, rien ne va et plus rien n’est comme avant.

Courageusement, l’Église togolaise, traditionnellement précautionneuse, s’est invitée dans le débat politique, se refusant même à « faire semblant (…) comme si, par enchantement, toutes les questions que nous nous étions engagés à examiner après les échéances électorales avaient simplement disparu ». C’est à croire qu’à la table du Père, tous ses enfants, religieux et non religieux, s’installent en héritiers égaux sans gêne désormais, devant l’avenir d’une nation véritablement en crise. Il y a d’abord, encore et toujours du travail politique équitable à faire au Togo et personne ne peut plus ignorer une telle réalité. Toutes les médailles, toutes les invitations aux célébrations et autres missions de scarification et d’allégeance peuvent attendre…

Au Togo, une main de Dieu se fait visible
Finalement aucun citoyen togolais ne s’est habitué à l’hypocrisie

Dire l’insupportable n’est pas chose aisée. Persister à le dire et l’écrire illustrent une vocation. En arriver à conceptualiser le tout et y rallier les siens ainsi que diverses chapelles deviennent une prescription pastorale et une homélie métaphorique, particulièrement dans un pays où l’on n’est généralement d’accord que sur les désaccords. Songée, historique et non tapageuse, la Lettre pastorale du 27 avril 2016 est, sans extrapolation, la fin d’une omission que : l’abus d’une situation anhistorique ne peut indéfiniment altérer l’avenir démocratique de tout le peuple togolais. C’est le signal qu’un nouveau contexte gagne du terrain au Togo, et il interpelle tous les acteurs.

C’est même l’ère de la dissidence par rapport à l’apathie, la peur, la haine et la méfiance, pour reprendre les mots de l’illustre Thurgood Marshall, premier juge africain américain de la Cour Suprême des États-Unis. L’éminent défenseur des droits civiques, un diplômé de l’emblématique Howard University à Washington DC par ailleurs, disait et proclamait notre devoir universel dans les heures sombres de nos pays, lorsque la dignité humaine et le respect des citoyens sont délibérément bafoués sous le couvert des lois iniques et des volontés tremblantes : «Nous devons de la dissidence à l'apathie. Nous devons rompre avec la peur, la haine et la méfiance » (We must dissent from the apathy. We must dissent from the fear, the hatred, and the mistrust.)… C’est aussi au nom de cette universalité de la dignité humaine que tout un autre Togo doit naître sur la « Terre de nos Aïeux », et même ceux et celles qui consacrent leur vie à animer la parole divine ne conçoivent plus l’insoutenable légèreté qui perdure au pays de leur mission terrestre.

Effectivement, la responsabilité à laquelle les Évêques togolais appellent leurs compatriotes, particulièrement les gouvernants, est une distance par rapport à la fiction ambiante que le Togo pouvait demeurer dans cet état de non-démocratie et de répression constante au profit d’une caste, un groupe identifiable et bien identifié qui, au vu et au su de tout le monde, oppresse et « accapare les ressources au détriment du plus grand nombre » au point d’instaurer et de perpétuer dans toute la nation togolaise « un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès » dixit Faure Gnassingbé lui-même, rappellent encore les prélats togolais.

Comme au Togo rien ne va sans une numérologie fatidique, très curieusement, ce sont treize responsabilités qui sont identifiées pour instruire un incontournable devoir du nouveau départ au Togo : Reconnaissance de ce qui se fait; appel à la cohérence; appel à la transparence et à la mise en œuvre des engagements pris; élections locales; égalité de traitement des citoyens; combattre l’impunité et promouvoir le dialogue; veille citoyenne; action en faveur des valeurs citoyennes; collaboration au service de la personne humaine; cohérence de vie au nom de l’Évangile; constante démarche de conversion; fidélité au Seigneur; ni peur ni honte d’être chrétiens.

Dans un pays où la métaphore du serrement occasionnel de mains et des correspondances systématiquement ignorées et classées « sans réponse » ont remplacé la métaphore des dialogues mythiques, dans un pays où l’Assemblée nationale s’était délégitimée elle-même en n’étant qu’une docile Chambre d’enregistrement de tous les desiderata outrageants de la dignité d’émancipation démocratique des populations, dans un pays où les rêves de liberté ont été pris, pour être depuis si longtemps confisqués ou transformés en menottes et en répressions, les citoyens du Togo ne se sont jamais habitués à l’imposture. Tout simplement parce que l’insupportable n’a rien de normal pour les Togolaises et les Togolais; même pas pour les prélats du pays, pourtant des habitués à adoucir le présent et prescrire le juste Ciel dans l’au-delà.

Au contraire, la Lettre pastorale publiée par la Conférence des Évêques du Togo (#CETogo) révèle ouvertement l’appartenance fidèle du clergé à un peuple togolais sans pitance, le refus des Évêques de participer à l’indifférence ambiante et, mieux encore, l’invitation explicite faite aux politiciens, aux partis politiques, aux forces armées, à la diaspora, à la société civile, aux hommes et aux femmes de bonne volonté, à tous les croyants d’assumer leurs responsabilités de Justice et de Vérité en vue de l’alternance au Togo. Jamais un appel aussi large n’aura été si intimiste, si grand et si interpellatif de toutes les consciences togolaises, où qu’elles se logent. Finis l’indifférence et le silence; voilà que tous nos « Tonton Father » se lèvent et s’y mêlent, ils reviennent au naturel de la solidarité humaine ainsi qu’aux fondamentaux de toute nation qui se respecte, en s’éloignant des malheurs engendrés par une forme « d’irresponsabilité tranquille » et une posture de politesse du désespoir qui répète souvent « Moi, je ne fais pas de politique ». Eh bien, ce temps est révolu dans l’état lamentable où se trouve le Togo, constate son clergé.

C’est en cela que le changement pour la démocratie, l’alternance, la réconciliation et le développement au Togo ne viendra avant tout que de la volonté de chaque citoyen à voir tout aussi grand et tout aussi politique que le clergé, devenir un grand Togolais, une grande Togolaise, dans chaque acte quotidien jusqu’à la victoire finale de la dignité à restituer aux populations. C’est surtout pour cela que personne ne veut le changement et la renaissance du Togo pour soi, mais bien pour tous. Ici et maintenant, nous disent les Évêques; ici et maintenant, nous consentons.


Diplomatie Publique


Rédigé par psa le 19/05/2016 à 01:00