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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le mitraillage vendredi dernier de l’équipe de football du Togo qui se rendait à la Coupe d’Afrique des nations par des rebelles du «Koweït de l’Afrique» ranime un conflit que Luanda disait avoir réglé depuis 2006. Deux morts et un blessé grave dans l’encadrement de l’équipe de football du Togo, victime malencontreuse d’un conflit interminable. C’est à ce prix que les rebelles des Forces de libération de l’Etat ¬du ¬Cabinda-Position militaire (FLEC¬PM), qui ont mitraillé vendredi passé le bus des Eperviers togolais, ont atteint l’objectif qu’ils visaient. Transformer la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en Angola en une caisse de résonance pour la lutte qui les oppose depuis trois décennies et demie à Luanda.


Gilles Rousset, 2010
Gilles Rousset, 2010

Cabinda, bande de terre de 7270 km² dont les 300 000 habitants sont aussi pauvres que ses forêts sont luxuriantes et son rivage atlantique est gorgé de pétrole, est une extravagance géographique. Elle est coincée entre deux pays francophones, le Congo-Brazzaville au nord et la République démocratique du Congo au sud, mais ne partage pas de frontière avec l’Angola, auquel le colonisateur portugais a pourtant rattaché l’enclave en 1956. Dix-neuf ans plus tard, Luanda s’affranchit du Portugal. Les principaux mouvements de libération (de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola, l’Unita de Jonas Savimbi, au Mouvement populaire de libération de l’Angola, MPLA, de l’actuel président José Eduardo dos Santos) ratifient l’indépendance.
Mais le FLEC, qui s’était constitué dès les années 1960 pour dénoncer lui aussi la domination portugaise, n’est pas associé aux discussions. Cabinda devient autoritairement la 18e province d’un Angola qui n’entend pas renoncer à ce territoire «indispensable à la survie du régime MPLA, puisqu’il pèse à l’époque pour 80% de ses réserves pétrolières», rappelle Olivier Vallée, économiste indépendant. «Avec la découverte d’immenses gisements le long de la côte de l’Angola, qui surpasse depuis deux ans le Nigeria comme premier pays subsaharien exportateur de pétrole, la part de Cabinda ne devrait plus à terme représenter que 40%», poursuit le spécialiste. C’est encore beaucoup trop pour que «Luanda et les compagnies pétrolières (ndlr: Chevron, Texaco, Elf) envisagent l’émancipation d’un «Koweït» au milieu de l’Afrique», ajoute Didier Péclard, chercheur à la Fondation suisse pour la paix. Au fil des ans, le FLEC, qui fait parler de lui au travers des prises d’otages et d’actes de guérilla sporadiques, se morcelle. En 2003, le FLEC-PM (armé) apparaît.

18e province de l’Angola répressif
A l’époque, les rebelles sont confrontés à une sévère campagne contre-insurrectionnelle. Car en 2002, le MPLA au pouvoir à Luanda a mis à profit la fin de la guerre civile qui l’oppose depuis l’indépendance à l’Unita de Jonas Savimbi, soutenue par l’Occident, pour redéployer 30 000 de ses soldats dans l’enclave. Un pour dix Cabindais, dit-on alors. Le FLEC pâtit de ce quadrillage, et en 2006, sa faction «rénovée», menée par Antonio Bento Bembe, signe un accord qui clôt, sur le papier, le conflit et définit les conditions d’une meilleure redistribution locale de la manne pétrolière.
La réalité sur le terrain démontre le contraire: le reste du front réfute le texte. Pour les plus radicaux, la lutte contre l’occupant angolais continu encore à ce jour. «Il n’y a pas que le FLEC. La mobilisation de la société civile de Cabinda, structurée par le clergé, est très grande. Elle réclame l’autonomie, voire, pour les plus déterminés, l’indépendance», souligne Didier Péclard.
«Le gouvernement refuse, frontalement, tout dialogue», poursuit ce spécialiste de l’Angola. Dans un rapport publié à l’été passé, Human Rights Watch dénonçait la persistance d’une répression très dure à Cabinda, où les médias indépendants n’ont pas droit de cité. «L’armée angolaise et ses services de renseignement maintiennent une présence très large sur ce petit territoire, où ils intimident et harcèlent les gens qui sont perçus comme d’opinion dissidente», note l’organisation américaine, en recensant de nombreux cas de torture et de dénis de justice.
L’organisation de la Coupe d’Afrique des nations, et la décision de Luanda d’organiser des matchs à Cabinda, devait «asseoir la normalisation de l’Angola et démontrer à la communauté internationale et aux pétroliers que la situation était calme dans l’enclave», note Didier Péclard. Une illusion qu’une poignée d’insurgés, dont deux ont été interpellés hier, a fait voler en éclats en mitraillant le bus togolais. «Nous sommes en guerre», a martelé Rodrigues Mingas, le représentant en exil (en France) de la faction FLEC-PM qui revendique l’attaque. En dénonçant dimanche un «acte de terrorisme», alors qu’il donnait le coup d’envoi de la CAN, le président angolais José Dos Santos a lui-même admis, d’une certaine façon, que la question cabindaise n’était pas encore réglée. ///////Angélique Mounier-Kuhn



Mot à Maux


Rédigé par psa le 12/01/2010 à 00:12