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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Fabrice Robin - Qu’est-ce qui fait bégayer Henri Guaino ?
Fabrice Robin - Qu’est-ce qui fait bégayer Henri Guaino ?
Le sommet sur l’Union Pour la Méditerranée a signé le grand retour sur la scène médiatique d’Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. Depuis, difficile de lui échapper, il est partout, sur tous les plateaux, dans tous les studios donnant parfois l’impression que le vrai ministre des affaires étrangères, c’est lui et non le falot Bernard Kouchner. La plume du président est aussi bavarde. Un peu trop. Attaché à sa liberté de ton, il récidive un an après le discours de Dakar sur l’homme africain, pas assez entré à ses yeux dans l’histoire.
Quand un conseiller présidentiel tient dans le quotidien de référence, le journal Le Monde, des propos de café du commerce, il y a de quoi légitimement s’interroger. Grisé par les arcanes du pouvoir, Henri Guaino qui occupe l’ancien bureau de Valéry Giscard d’Estaing, juste à côté de celui de Nicolas Sarkozy, tout un symbole, a un avis sur tout et ne se fait pas prier pour en faire état. La plume du président qui connaît mieux que tout autre le poids des mots n’hésite pas dans une tribune publiée par Le Monde de ce dimanche, à revenir sur le tollé qu’avait suscité le discours de Dakar qu’il avait écrit pour Nicolas Sarkozy.
Une phrase avait notamment suscité la controverse en France et l’émoi en Afrique : « Le drame de l’Afrique est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire». « Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ».
Piqué au vif par la polémique, Henri Guaino tient donc à préciser sa pensée : « Revenons un instant sur le passage qui a déchaîné tant de passions et qui dit que “l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire”. Nulle part il n’est dit que les Africains n’ont pas d’histoire. Tout le monde en a une. Mais le rapport à l’histoire n’est pas le même d’une époque à une autre, d’une civilisation à l’autre. Dans les sociétés paysannes, le temps cyclique l’emporte sur le temps linéaire, qui est celui de l’histoire. Dans les sociétés modernes, c’est l’inverse. L’homme moderne est angoissé par une histoire dont il est l’acteur et dont il ne connaît pas la suite. Cette conception du temps qui se déploie dans la durée et dans une direction, c’est Rome et le judaïsme qui l’ont expérimentée les premiers. Puis il a fallu des millénaires pour que l’Occident invente l’idéologie du progrès. Cela ne veut pas dire que dans toutes les autres formes de civilisation il n’y a pas eu des progrès, des inventions cumulatives. Mais l’idéologie du progrès telle que nous la connaissons est propre à l’héritage des Lumières. »
Henri Guaino prend le risque de conclure une polémique en en couvrant une autre. Peu importe le fond de la pensée de l’auteur du discours présidentiel. On peut légitimement juger que si les paroles du Président ont offensé, c’est que le corps même du discours était ambigu. Avant d’accuser des lecteurs ou des auditeurs d’avoir mal compris ne faudrait-il pas préalablement se poser la question de savoir si la pensée exprimée l’a été avec suffisamment de clarté et de précautions ?
Henri Guaino fait tout l’inverse. Selon le conseiller spécial, les seules personnes choquées par le discours de Dakar ont été « les élites installées », les « notables » de l’Afrique or selon lui, le discours de Nicolas Sarkozy ne leur été pas adressé mais, à la jeunesse africaine. Sûr de son fait et de sa plume, Henri Guaino n’hésite pas à conclure son propos par une indécente provocation : « Toute l’Afrique n’a pas rejeté le discours de Dakar. Encore faut-il le lire avec un peu de bonne foi. On peut en discuter sans mépris, sans insultes. Est-ce trop demander ? Et si nous n’en sommes pas capables, à quoi ressemblera demain notre démocratie ? »
On n’accusera évidemment pas Henri Guaino de racisme ordinaire mais, le prisme de lecture de l’histoire qu’il propose n’est-il pas, en caricaturant les choses, celui d’un homme blanc un peu trop sûr de la supériorité de « sa » vision, de sa civilisation qui aboutit pourtant paradoxalement en terme de « progrès » à la destruction de la planète ? C’est bien là le principal défaut d’Henri Guaino, le manque d’humilité. Celui de demeurer à sa place, dans l’ombre du pouvoir. Le poids du voisinage sans doute, de regarder les gens entrer dans l’histoire et, rester soit même dans une éphémère notoriété.
Un « collaborateur » de l’exécutif, aussi brillant et influent soit-il ne doit pas oublier un principe fondamental. Peu importe à qui appartiennent « les petites mains » qui rédigent les discours, à partir du moment où le Président prend possession des feuillets et en donne lecture, il y a, de facto, transfert de propriété. Mots et pensées deviennent celles du président et de nul autre. Quelle que soit la frustration d’Henri Guaino, il faudra qu’il l’admette ou, qu’il s’en aille. Sauf à devenir ministre.

Le Monde/ La Mouette


Mot à Maux


Rédigé par psa le 29/07/2008 à 21:12
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