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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le lourd fardeau de l’immobilisme politique au Togo durant plus de cinquante ans a émergé aux yeux du monde en cette année 2013. L’année 2013 avait commencé par des incendies dont celui du plus grand lieu d’affaires au Togo, le marché de Lomé, la capitale togolaise. 2013 s’est terminée par la dénonciation voire la condamnation de la justice togolaise à travers une mise à nu de ses nombreuses insuffisances –pudiquement nommées « dysfonctionnements », par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme qui faisait ainsi ressortir de bien graves carences dans un retentissant « Rapport sur le respect et la mise en œuvre des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans l’administration de la justice au Togo ». Désormais, il apparait que nul progrès ne sera réalisé au Togo si l’humanité ne sort grandi de chaque décision des tenants du pouvoir; le chef d’État togolais lui-même doit prendre ses responsabilités.


Mandela est Togolais
On se souvient bien qu’au lendemain des incendies criminels de janvier 2013, le chef d’État togolais, Faure Gnassingbé, établissait le constat du drame particulier que vivait le Togo entier, quelques mois après l’odieux évènement : « Chacun peut (…) lire encore sur les visages de nos concitoyens, l’étendue de la peine et le désarroi profond. Les traumatismes affectent encore des milliers de foyers, modestes pour la plupart, où tout est aujourd’hui remis en cause, parce que tout reposait sur le dur labeur et le courage d’une mère qui a tout sacrifié pour monter un petit commerce, aujourd’hui parti en fumée. » On comprenait aussi l’indignation que traduisait le chef d’État togolais lorsque dans le même discours à la nation, en avril 2013, il s’indignait : « rien ne peut justifier les incendies criminels qui ont dévasté les marchés de Kara et de Lomé. Aucun agenda politique, aucun combat de quelque nature que ce soit, ne peut justifier de tels égarements ! »

Voilà qu’en place et lieu d’une justice réparatrice et exemplaire dans les circonstances, c’est tout un plan de règlements de compte politique, tout un « agenda politique » comme Faure Gnassingbé lui-même le dénonçait, que son gouvernement a mis en exécution avec la complicité d’une justice aux ordres, et à tous les niveaux. Et pourtant, le chef d’État togolais assurait le monde entier de l’indépendance de la justice dans le traitement du traumatisme unique qui affectait des milliers de foyers dans son pays : « C’est l’occasion pour moi de saluer les efforts que la justice continue de déployer pour la manifestation de la vérité. Ces efforts doivent être poursuivis avec détermination et en toute indépendance. Le travail de la justice doit se faire dans la sérénité et dans le respect des principes de l’État de droit, à toutes les étapes de la procédure. » La suite des choses révèlera une autre histoire de bas étage politique.


La joie de se sentir irresponsable… toute une joie !
Déception sur toute la ligne ! Depuis janvier 2013, et seulement quelques jours après le drame des incendies, une justice asservie s’est mise en œuvre pour incriminer les adversaires politiques du président togolais, révélant au grand jour la faiblesse de la fonction judiciaire au Togo et partant, le drame togolais sous toutes ses facettes, tout le long de ces douze derniers mois. Et le constat est gravissime : nul ne peut plus croire les dirigeants du Togo, un pays où la simple confiance a déserté toutes les institutions, un pays où certains ont « la joie de se sentir irresponsables, et de penser qu’ils peuvent dévorer tout », les vies comme les ressources ; un pays où la simple hypothèse du respect des citoyens fatigue les tenants du pouvoir et provoque leurs déchaînements intempestifs courroucés ; un pays où la société est tellement en danger que le Rapport de l’instance onusienne croit bon d’écrire dans ses conclusions :  
« En tout état de cause, une réforme du secteur de la justice devra concilier le respect des droits de l'homme et des libertés individuelles avec les exigences de protection de la société. À cette fin, il importe de favoriser la participation de toutes les parties prenantes dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures qui permettront d’aboutir à une administration de la justice conforme aux normes et standards internationaux relatifs aux droits de l’homme. » Pour une terminaison diplomatique, c’est est une.

Voilà que le tout dernier discours du chef d’État togolais à la nation, dans l’allocution traditionnelle de nouvel an, celle annonçant 2014, Faure Gnassingbé semble faire l’impasse sur les véritables enjeux internes du moment, tous vitement liquidés dans une étonnante sobriété allusive dénommée « esprit de concorde ». Faure Gnassingbé reste fidèle à lui-même, désespérément aqua-planeur et sans conviction quant à son devoir et à sa promesse de changement, la sécurité et la lutte contre le terrorisme ayant pris une place particulière pour répondre à certains impératifs externes régionaux.

Ainsi bafoué par l’injustice, le sentiment général qui se dégage du Togo au terme de l’année 2013 est véritablement celui d’une dignité blessée et d’un avenir compliqué, c’est-à-dire l’exclusion de toute perspective éthique de refondation de la République basée sur la fiabilité politique, la réconciliation des citoyens et le respect des adversaires. Autrement dit encore, l’enfantement du mieux politique au Togo présente beaucoup trop de convulsions inattendues pour croire aux propos des dirigeants ; des propos qui sont devenus des asymptotes intrinsèquement impossibles à mener vers la sincérité ou vers leur propre promesse de faire advenir un autre Togo, un État de droit, un pays partagé et enrichi par tous.

Désormais, c’est à l’aune de ce Rapport onusien que le Togo va être jugé. Et longtemps encore, les promesses, les défenses et les discours des dirigeants togolais vont être appréciés à leur plus simple fausseté, le sourire diplomatique aux coins des visages rencontrés ici et là. En attendant, le peuple togolais souffre, sa jeunesse tire le diable par la queue d’autant plus que 2014 ne s’annonce pas moins ténébreuse.

En effet, rien, absolument rien, ne permet de croire que les ressources du Togo seront mieux investies au service du pays ; croire que les inculpations fantaisistes seront abandonnées dans l’affaire des incendies au profit d’une enquête crédible et impartiale, croire que des élections locales non-truquées auraient lieu dans tout le pays, croire à l’indépendance de la justice, croire au relèvement du traitement du personnel enseignant et celui de la santé, croire à la pratique de la bonne gouvernance, croire à un engagement pour le seul progrès du Togo. C’est à croire que le pays a manqué son rendez-vous avec lui-même ; en retard sur son temps, en déphasage par rapport à ses citoyens : un pays sans audace politique évolutive, un pays où la vengeance d’un fils Gnassingbé devrait véritablement être tout autre chose que la déception, l’inaction et l’imposture. Désormais, il faudra partir de ce froid constat d’immobilisme politique pour élucider l’urgence d’agir propre à cette année 2014. Et cela tient de notre devoir de citoyen.


Que le Nelson Mandela en Faure Gnassingbé sorte en 2014
C’est en cela que Nelson Mandela devient résolument Togolais ; il l’était déjà par son universalité, il le devient davantage par l’urgence de la particularité togolaise. Il est véritablement temps de mettre fin à la situation politique malsaine et délétère du Togo. C’était écrit que même l’avenir n’attend pas, il n’attendra donc pas le Togo : « L’avenir passe. Demain ne peut plus attendre. » Anéantir ce qui retarde tant le Togo, en prenant des décisions courageuses que requiert la situation lamentable et persistante du pays : accepter de sacrifier les intérêts particuliers au profit de l’intérêt général porteur de compétence et de réconciliation, de justice et du pardon, du « Grand Pardon » même qui fut trop tôt diagnostiqué et prescrit dans le cas togolais par un de ses éminents fils... C’est vrai, il avait eu le tort d’avoir parlé trop tôt de ce « Grand Pardon », parce qu’il savait que l’avenir passe vite pour laisser la place au retard… On le voit bien!

Au Togo, il n’y a d’alternative de progrès et de développement que le choix de la vérité et de l’humilité dans toutes leurs formes et applications par les tenants du pouvoir. Aucune autre avenue n’existe devant l’échec répété, et surtout l’artifice politique mystificatrice mise en œuvre, directement ou indirectement, pendant si longtemps au Togo. Que la vaillance et la compétence, l’audace et la responsabilité soient toutes réunies pour que les promesses mêmes du chef d’État togolais lors de sa captation du pouvoir en 2005 soient enfin réalisées : le vrai dialogue républicain, la réconciliation sincère ainsi que le développement sans leurre. L’année 2014 presse au Togo. Demain ne peut plus attendre tous les mandats futurs de Faure Gnassingbé, du troisième mandat déjà supputé à tous les autres mandats présidentiels subséquents visiblement caressés ; tous les mandats futurs sont désormais réunis en cette 2014.

Que l’ébauche de Faure Gnassingbé depuis 2005 aboutisse en un chef-d’œuvre à la Mandela en cette fin de son deuxième mandat. Qu’un ébranlement des intelligences se produise en 2014 pour qu’enfin le Togo change, parce que les peurs et les frayeurs des uns et des autres se seront dissipées. Nul n’écrasera l’autre dans un Togo démocratique ; aucune légalité n’asservira une seule légitimité au Togo, bien au contraire chacun sera mieux servi et la République trouvera ses comptes.

C’est connu : « Un chef d’œuvre existe une fois pour toutes » sans empêcher les autres d’exister, d’être reconnus et d’être célébrés. Ainsi existe Mandela, ainsi existe Mathieu Kérékou à son échelle tout aussi grande, malgré ses erreurs du début de son aventure politique; ainsi existera un autre Faure Gnassingbé au Togo et au-delà, s’il le veut bien. La politique reste encore l’infini possible. Et, lorsque la noble politique est mise au service de son peuple sans aucune malice, ce peuple sait absoudre et élever de tels dirigeants courageux et adeptes du bien, malgré leur imperfection.

Dans la vie d’un pays, « l’espacement de l’illimité admet toutes les créations », toutes les créativités mêmes ; le Togo attend celle de Faure Gnassingbé pour 2014 et pas après. Sans aucun doute : il y a dans Faure Gnassingbé un autre Faure Gnassingbé que celui que nous avons vu jusqu’à maintenant. Que le Nelson Mandela en Faure Gnassingbé sorte. Enfin pour le Togo, une progression politique audacieuse, arithmétique, géométrique, exponentielle même en cette année 2014. Enfin, il y a nécessité de changer le Togo maintenant que la préséance ethnique se dissipe sensiblement du paysage politique, et permet une conception unitaire du pays. Changeons notre pays… changeons le Togo !


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