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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




L’Orangerie des Tuileries est l’un des plus curieux musées parisiens. Une adresse un peu méconnue, bien qu’elle conserve l’une des plus belles collections d’art moderne, constituée par le marchand d’art Paul Guillaume (Cézanne, Matisse, Picasso, Derain, Soutine, etc.), et qu’y soient installés les Nymphéas (1920-1926) de Monet, huit panneaux géants qui baignent dans la douce lumière du jour depuis la rénovation du bâtiment. L’Orangerie accueille une exposition Paul Klee (1879-1940), vingt-six tableaux dont dix-sept ont été prêtés par la Fondation Beyeler à laquelle l’Orangerie avait confié ses Douanier-Rousseau pour la rétrospective qui vient de se terminer à Bâle.


Claude Monet, Les Nymphéas-Effet du soir
Claude Monet, Les Nymphéas-Effet du soir


En France, malgré le rang qu’il occupe dans l’histoire de l’art de la première partie du XXe siècle, Paul Klee est encore une silhouette. Il est peu représenté dans les collections publiques. Il n’a pas le statut de Kandinsky, sans doute parce qu’il n’a jamais habité à Paris. Cette petite exposition sera donc une redécouverte pour les amateurs français. Mais pourquoi conseiller d’aller la voir alors que nous possédons, à Berne, le plus grand patrimoine Klee du monde? C’est que la plupart des tableaux ont été choisis par le marchand d’art Ernst Beyeler, qui vient de décéder, et qu’il s’agit donc d’une sélection à laquelle le regard du collectionneur vient donner un relief particulier, sensible qu’il était au mélange d’humour et de tragique doublé d’un savoir-faire discret.
Ernst Beyeler a surtout collectionné la dernière période de Klee, depuis son arrivée en Suisse en 1933 jusqu’à sa mort en 1940. Touché par l’exil, puis par la maladie qui l’emportera, Klee est moins mental, moins volontaire, plus direct que dans sa période du Bauhaus. Il ne retient plus son expression, ni sa tendresse, ni une sorte de désespoir sombre. Pas un jour sans peinture ou sans dessin. C’était un principe qu’il appliquait non seulement par discipline mais aussi parce que la continuité de l’effort retient l’effusion. Une tension sourde règne en permanence, au bord de l’explosion, mais que l’artiste peut organiser. Beyeler aime les tableaux qui atteignent le point limite où tout pourrait s’écrouler.
Cette exposition dépayse les Klee de Beyeler, elle les installe dans un cadre qui n’est pas le leur d’habitude, pas loin d’un autre choix de collectionneur, celui de Paul Guillaume, et de tableaux dont beaucoup sont contemporains de ceux de Klee et permettent, par rapprochement et par comparaison, de mieux situer sa place dans l’histoire de l’art. Bien qu’il ait participé aux mouvements artistiques allemands qui ont précédé la guerre de 1914-1918, et bien qu’il ait été professeur au Bauhaus de 1920 à 1931, Klee est resté en marge des avant-gardes. Il a suivi un chemin solitaire. Renonçant à l’esprit de bataille et d’affirmation qui régnait à son époque.
Par sa densité, l’exposition des Klee de Beyeler perturbe toute lecture de l’histoire comme une succession de groupes, d’écoles, de tendances. Elle conduit à s’interroger sur les mécanismes d’influence, sur les effets de l’art des uns sur l’art des autres, en mettant, tout près des Cézanne, des Picasso ou des Matisse, une peinture qui réussit le prodige d’être à la fois de son temps et hors de son temps. Klee travaillait petit. Ses plus grands tableaux dépassent rarement le mètre de côté. Or, à l’Orangerie, il côtoie non seulement des œuvres de plus grande taille qui appartiennent à la collection Guillaume, mais aussi les Nymphéas, huit toiles dont la plus grande fait 17 mètres de long et deux de hauteur. Comment les petites peintures de Klee peuvent-elles tenir face à cette monumentalité?
La dimension a été l’une des grandes questions qu’ont dû résoudre les peintres au XXe siècle parce que, contrairement aux époques précédentes, elle n’était pas aussi précisément réglée par le marché et par les commandes. Les Nymphéas sont une commande libre de Clémenceau à son ami Monet qui a pu peindre sans limite. Et cette absence de limite a eu une influence directe sur les choix des artistes abstraits américains au cours des années 1950. Cette question reste d’actualité pour les peintres, mais aussi pour les ins¬tallateurs ou les vidéastes. Vu l’importance des musées et des expositions internationales comme les biennales, le grand format est devenu un critère de visibilité.


Ad Valorem


Rédigé par psa le 04/05/2010 à 01:00
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