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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Jean Paul II sera béatifié dimanche à Rome. Après les scandales de pédophilie, l’Église catholique attend de cet événement un regain de crédibilité. L’homme avait toujours pratiqué un catholicisme de combat, militant et conquérant, qu’il a fortifié dans sa lutte contre le communisme. Jean Paul II était un diplomate, et était obligé de traiter avec des dictateurs.


Santo Subito Jean Paul II : Imparfait et Saint
Jean Paul II sera béatifié dimanche, seulement six ans après sa mort, et malgré les nombreuses zones d’ombre qui pèsent encore sur son pontificat. Comme celui de Mère Teresa (1910-1997), qui a eu lieu en 2003, son procès en béatification a battu tous les records de vitesse. L’usage veut en effet que l’on respecte un délai de cinq ans avant d’entamer la procédure qui conduit à la proclamation d’un nouveau bienheureux. Alain Vircondelet, maître de conférences à l’Institut catholique de Paris, vient de publier un livre sur la béatification du pape polonais («Saint Jean-Paul II», Plon, 270 p.). Il en analyse les enjeux stratégiques et politiques.

Quelle est l’importance de cette béatification? Que peut-elle apporter au catholicisme?
Jean Paul II était le grand joker de l’Église. Il a su rassembler les foules, s’en faire aimer, il a manifesté une exemplarité de foi telle qu’elle est susceptible de devenir un modèle. La béatification est une manière très légitime de montrer l’accomplissement de cette œuvre pastorale si riche et de féconder davantage le terreau catholique qui a subi et subit toujours de violentes attaques de par le monde, notamment dans sa confrontation à l’islam et à la violence laïque. Cette béatification a une dimension stratégique évidente.

Quels sont les avantages politiques pour l’Église catholique?
L’Église peut recouvrer une dimension spirituelle et morale au-dessus de tout soupçon. Elle a été très meurtrie par les affaires de pédophilie, qui ont beaucoup altéré sa dimension éthique et morale. Or Jean Paul II apparaît comme un homme d’une grande intégrité dans sa foi. Il y a chez lui une dimension spirituelle tellement affirmée et accomplie qu’elle vient comme renforcer cette Église qui tout à coup se trouve attaquée. Cette béatification va revivifier l’Église de l’intérieur.

On a l’impression que la béatification de Jean Paul II intervient très tôt. La distance historique manque pour établir un dossier sérieux.
Cette béatification a répondu d’abord à l’injonction populaire «santo subito». De nombreux catholiques ont regretté qu’elle ne soit pas intervenue plus rapidement. La procédure a paru rapide et pas sérieuse aux yeux de beaucoup de monde, mais elle a été réalisée dans le respect absolu des règles de la Congrégation pour la cause des saints. Aucune étape n’a été escamotée ni franchie de manière désinvolte. Mais il est vrai que le procès a été mené avec beaucoup de dynamisme. La réputation de sainteté de Jean Paul II était tellement avérée que le dossier était assez aisé à conduire.

Tout de même, on a le sentiment d’une certaine précipitation à vouloir fabriquer un saint.
On a rarement vu dans l’histoire de l’Église un pape qui a eu un impact aussi puissant auprès des fidèles. Il avait à la fois l’autorité morale et un capital de sympathie extrême. Les fidèles ont la certitude que Jean Paul II est un saint homme. Et l’Église a besoin de retrouver des moteurs puissants en ces temps de persécution.

Santo Subito Jean Paul II : Imparfait et Saint
La personnalité de Jean Paul II présente plusieurs zones d’ombre. Il a couvert des scandales sexuels, notamment les abus commis par le Père Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires du Christ, sur des séminaristes et sur ses propres enfants. Tout indique que Jean Paul II était au courant et qu’il a freiné l’instruction du dossier.
Jean Paul II n’était pas un ange, et il ne s’est jamais considéré comme tel. Il a au contraire honoré son humanité avec les parts d’ombre et de lumière qui sont en tout homme. Mais sa démarche allait vers la lumière. Concernant l’affaire Maciel, Jean Paul II semblait effectivement être au courant puisque l’un des fils naturels du Père Maciel l’avait alerté personnellement. Mais le pape avait fait des Légionnaires du Christ son cheval de bataille parce qu’ils travaillaient à la reconquête chrétienne qu’il souhaitait. C’est là qu’apparaît la part stratégique et politique de Jean Paul II. Il a sans doute estimé qu’il valait mieux taire les crimes de Maciel pour éviter à l’Église de perdre sa crédibilité. Jean Paul II était un guerrier de Dieu, il avait une volonté militante et épique. Les problèmes du Père Maciel étaient secondaires par rapport aux défis planétaires qui l’occupaient: il voulait réunir les deux Europes, occidentale et orientale, et étendre le catholicisme au monde entier.

Il a aussi entretenu des liens avec des dictateurs et réduit au silence des théologiens de valeur.
Il faut voir d’où vient Jean Paul II. D’une Pologne ultra-catholique, où la pratique religieuse serait semblable aujourd’hui à celles d’intégrismes. Il a vécu toute sa jeunesse dans un contexte religieux très sévère, où l’Évangile était pris à la lettre. Il a toujours pratiqué un catholicisme de combat, militant et conquérant, qu’il a fortifié dans sa lutte contre le communisme. Jean Paul II était un diplomate, il était obligé de traiter avec des dictateurs. Il savait bien que certains chefs d’État d’Amérique latine étaient des voyous, des escrocs et des assassins. La théologie de la libération n’était pas dans le droit fil de sa pensée. Selon lui, elle représentait un danger. Il a fait des choix qui sont peut-être contestables. Sa formation et son éducation l’ont poussé à régler les problèmes qui se présentaient d’une certaine manière.

Les zones d’ombre de Jean Paul II sont tout de même assez prononcées. Comment peut-on le considérer comme un saint?
Ce qui ressort de ce pontificat, c’est qu’il a rendu les catholiques fiers de leur religion. Jean Paul II a été un modèle immense, il a régénéré le peuple catholique. Et tous les saints ont leur part d’ombre. Le fait d’être saint ne signifie pas être un homme parfait. Un saint n’est pas non plus un être divin. Il est saint parce qu’il est homme. Jean Paul II a toujours tenté d’avancer vers la vérité. Il l’a fait avec puissance, ardeur et violence. On ne demandera pas à un saint d’être un ange. C’est peut-être une dimension moderne de la sainteté: l’imperfection des hommes. Il faut toutefois préciser que Jean Paul II n’est pas encore saint, il est bienheureux. Le fait de le proclamer bienheureux n’engage pas l’infaillibilité papale. Celle-ci sera engagée lors de la canonisation.///////Propos recueillis par Patricia Briel, Le Temps.



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Rédigé par psa le 28/04/2011 à 22:22