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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




La Nation oubliée et déshéritée : la famille au-dessus de tout (Familie über alles). Tous les Faure Gnassingbé, Joseph Kabila, « Teodorin » Obiang Nguema Mangue, Isabel dos Santos, Denis Christel «Kiki» Sassou Ngueso, Zakaria Idriss Deby Itno, Franck Emmanuel Biya, Mohamed Alpha Condé, Muhoozi Kainerugaba Museveni, Karim Wade, et autres de ce monde politique de l’Afrique au sud du Sahara doivent se demander ce qui a peu bien arriver à leur ami Ali Bongo Ondimba du Gabon, non moins frère et fils de son père Omar Bongo Ondimba. Quelle traître mouche a pu piquer Ali? À la découverte de la nouvelle, c’est littéralement toute la diaspora africaine qui est en émoi, et les commentaires fusent de partout : « Pure opération blanchiment! A-t-il des conseillers, ce gars? Écoutent-ils encore ces présidents africains? Ils n’ont qu’à faire mieux en laissant tout simplement le pouvoir! Deux solitudes : les peuples africains et leurs dirigeants! » Voilà qu’auto transformé en Roi mage, l’épiphanie tardive du président Ali Bongo Ondimba de « rétrocession de son héritage à l’État et à la Jeunesse gabonaise » devient un cauchemar de révélations et un condensé d’aveu de culpabilité pour tout le monde, pour toutes les familles présidentielles africaines. Quelle idée!


Frozen Memories, Amal Kenawy
Frozen Memories, Amal Kenawy

Les gens ont commencé à avoir une petite idée de l’accaparement des ressources qui se fait à la tête des pays africains. La supercherie n’aura duré que le temps d’un discours avant que le dégoût ne se propage en Afrique même et à travers le monde : le voleur dépouille sa victime la nuit et revient en plein jour, à midi, lui faire l’aumône ; Dracula reste gardien de la banque de sang et prouve sa bonne foi en remettant quelques poches seulement du précieux liquide pour la transfusion et le maintien à demi-vie d’une nation de sinistrés et de blessés au combat contre la confiscation du pouvoir, etc. De son vivant, Omar Bongo Ondimba lui-même aimait le répéter : « La jeunesse est sacrée! ». Pourquoi pas alors retourner l’ensemble de ses biens à cette jeunesse, la véritable héritière des biens du défunt Ya’ Bongo. Décidément, on reste toujours sans voix devant l’étendue de la fortune colossale des présidents africains, nous rappelle l’ami Outélé Keïta. Et on comprend parfois les batailles qui sont livrées autour de ces « biens mal acquis », souvent féroces. Demandez à Pascaline Bongo, Kpatcha Gnassingbé, Etienne Kabila et autres.

À l’occasion du 55e anniversaire de l’indépendance du pays, célébré le 17 août 2015, le président gabonais, Ali Bongo, dans un message à la Nation, a annoncé qu’il cédait à la jeunesse gabonaise sa part d’héritage de son père Omar Bongo Ondimba. Raison avancée par le premier des Gabonais pour justifier son geste : « nous sommes tous les héritiers d’Omar Bongo Ondimba ». Ainsi, les revenus tirés de sa part d’héritage, seront versés à une fondation pour la jeunesse et l’éducation. Quant à l’État gabonais lui-même, selon le président, la fratrie Bongo a décidé de lui donner pour le franc symbolique, deux hôtels particuliers de leur défunt père dans la capitale française, notamment dans le VIIe et le VIIIe arrondissement, et une immense propriété dans la capitale gabonaise, destinée à créer une université au profit de la jeunesse gabonaise.

On reste sans voix face à la fortune colossale des présidents africains

Pour un fait inédit, c’en est un. Car, jamais dans l’histoire de ce pays, voire de l’Afrique, l’on a vu un président céder ses biens à un État. En cela, le geste d’Ali Bongo mérite d’être salué. Mais à y regarder de près, l’on se demande s’il est si philanthropique qu’il le laisse croire. L’on peut en douter. En effet, si, sous nos tropiques, l’on est coutumier de dons d’individus à des œuvres caritatives, il n’en est pas de même à l’endroit des États. De surcroît, venant d’un président en exercice, le geste est si atypique qu’il ne peut manquer de susciter des interrogations.

Ailleurs, comme en Occident par exemple, l’on aurait pu pousser la curiosité jusqu’à chercher l’origine et les modalités d’acquisition de ces biens. Et dans le cas d’espèce, les interrogations sont d’autant plus fondées que le défunt président dont une partie de l’héritage fait l’objet de ces dons, avait été cité dans une affaire dite de « biens mal acquis » de présidents africains. Soupçonnés de thésauriser des fortunes colossales en Europe, cela leur avait valu, à lui et à ses pairs Sassou Nguesso du Congo, Théodoro Obiang Nguema de la Guinée Équatoriale, Eduardo Dos Santos d’Angola et Blaise Compaoré du Burkina Faso, une plainte en 2007 de trois associations françaises pour « recel de détournement d’argent public ». Outre les comptes bancaires pleins à craquer, ces fortunes concernent aussi, entre autres, des complexes immobiliers payés rubis sur ongle dans des quartiers huppés de la capitale française où même des locataires de l’Élysée peineraient à s’acheter un studio.

De ce point de vue, l’on ne peut s’empêcher de voir en ces dons, une forme de rétrocession à l’État gabonais d’une infime partie de ce qui lui appartient. Et si c’était le cas, ce serait trop facile ! Car cela renverrait l’image du voleur qui dépouille sa victime le matin pour venir lui faire l’aumône le soir. Aussi, dans le contexte pré-électoral actuel, où le président gabonais fait l’objet de vives critiques, on est porté à croire que ces déclarations ont aussi des visées électoralistes, surtout à l’endroit d’une jeunesse démunie, mais dont les voix comptent beaucoup pour la conquête du fauteuil présidentiel.

Sans oublier que si cette hypothèse de « biens mal acquis » s’avérait, il n’est pas exclu qu’Ali Bongo ait voulu prendre les devants, dans une affaire qui pourrait prendre un jour des tournures inattendues, quand on sait que certaines associations européennes comme Sherpa, Survie ou Transparency International France, ne désespèrent pas de faire rendre gorge devant les tribunaux, à tous ces « Ali Baba » des économies africaines qui ont pillé le continent et se sont enrichis pour des générations et des générations, en gardant leurs magots camouflés en Occident, au moment où leurs pays ploient sous le poids de la dette. Cela est criminel.

Si ce n’est pas un aveu d’échec, cela y ressemble fort

Mais si cela a pu arriver, c’est que, quelque part, l’on a permis à ces chefs d’État de penser qu’ils pouvaient disposer à leur guise de toutes les richesses de leur pays. Et ils ne s’en sont pas privés. Mais il faut que ça cesse. Pour cela, les Africains doivent prendre leur destin en main, afin d’éviter de donner des pouvoirs trop élargis aux princes régnants. Le problème est aussi que même sans pouvoir à eux donné, ils les prennent, répriment, tuent affament, emprisonnent ou exilent tous ceux qui osent se mettre au travers de leur chemin. Qui peut bien arrêter un Faure Gnassingbé au Togo, un Joseph Kabila au Congo, un Sassou Nguesso de l’autre coté du fleuve Congo ?

En attendant la concrétisation des gestes d’Ali Bongo, le Gabon ne peut pas cracher sur cette manne, surtout qu’il en a certainement besoin. Il faut seulement espérer qu’à l’image de bien des familles africaines qui ont connu les démons de la division pour les partages d’héritage, la jeunesse gabonaise se montrer digne face à l’héritage de Bongo fils. D’autant plus que la question de l’héritage du défunt président, qui compte 53 héritiers déclarés, n’est pas encore réglée, six ans après son décès. Ses actifs culmineraient à plusieurs centaines de millions d’euros pendant que certaines sources lui attribueraient rien moins que 33 appartements ou maisons en France. Des chiffres à donner le tournis, qui rivaliseraient avec le budget de certains États dont Bongo père traitait les salaires des fonctionnaires de perdiems.

Aujourd’hui encore, l’on reste sans voix face à la fortune colossale de ces présidents africains dont on n’a pourtant jamais entendu dire que les pères étaient des Crésus, au moment où une grande partie de leurs compatriotes peinent à s’assurer un seul bon repas journalier, dans des pays où tout reste à faire en matière d’infrastructures, de santé, d’accès à l’eau potable, d’éducation, etc.

Quand un État est pauvre au point que des individus doivent voler à son secours, cela traduit tout simplement l’échec de sa classe dirigeante. Et que l’État gabonais soit si défaillant à se construire une université au point que le président Ali Bongo soit amené à puiser dans son héritage personnel pour l’en doter, n’est pas à l’honneur du président lui-même. Si tout ceci n’est pas un aveu d’échec, cela y ressemble fort. C’est simplement triste. /////////Outélé Keïta

Mot à Maux


Rédigé par psa le 19/08/2015 à 22:50