Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




1984-2014. Trente ans déjà que l’inimitable Thomas Sankara est allé dire à la face du monde, à la tribune des Nations unies à New York –non sans avoir fait un arrêt à Harlem (Ma maison Blanche se trouve dans le Harlem Noire), que désormais « il n’y aura plus de gifles » abusives aux plus faibles de la terre. Il le disait tout en faisant comprendre « les raisons que nous avons de nous révolter ». Ce fameux discours aura bientôt 30 ans (4 octobre 2014) et, curieusement, la société burkinabé bouge avec une série de démissions de certains barons du parti au pouvoir, des déçus de Blaise Campaoré en somme. Mais Thomas Sankara ne parlait pas seulement aux Burkinabés ; il parlait au monde et au nom du « Grand peuple des déshérités », tous ces indignés, tous ces assoiffés de la démocratie, ces femmes et ces hommes qui aspirent au mieux-être, et à la dignité et qui sont prêts à se mettre debout pour lutter contre leurs oppresseurs toujours prêts à servir des discours évasifs, des promesses insaisissables et des exposés condescendants, particulièrement en ce début d’année nouvelle : « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère ». L’essentiel de l’intervention historique de Thomas Sankara reste pertinent encore de nos jours, en Afrique et au-delà. Un discours d’espoir.


2014… Rébellion légitime des peuples
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général,
Honorables représentants de la Communauté internationale,

Je viens en ces lieux vous apporter le salut fraternel d’un pays de 274.000 km², où sept millions d’enfants, de femmes et d’hommes, refusent désormais de mourir d’ignorance, de faim et de soif, tout en n’arrivant pas à vivre véritablement depuis un quart de siècle d’existence comme État souverain, siégeant à l’ONU.

Je viens à cette trente-neuvième session vous parler au nom d’un peuple qui sur la terre de ses ancêtres, a choisi dorénavant de s’affirmer et d’assumer son histoire, dans ses aspects positifs, comme dans ces aspect négatifs, sans complexe aucun.

Je viens ici enfin, mandaté par le Conseil National de la Révolution du Burkina Faso, pour exprimer les vues de mon peuple concernant les problèmes inscrits à l’ordre du jour et qui constituent la trame tragique des événements qui fissurent douloureusement les fondements du monde en cette fin de vingtième siècle. Un monde où l’humanité est transformée en cirque, déchirée par les luttes entre les grands et les semi-grands, battue par des bandes armées, soumise aux violences et aux pillages. Un monde où des nations, se soustrayant à la juridiction internationale, commandent des groupes de hors-la-loi, vivant de rapines, et organisant d’ignobles trafics, le fusil à la main.

Je n’ai pas ici la prétention d’énoncer des dogmes. Je ne suis ni un messie ni un prophète. Je ne détiens aucune vérité. (…) Ma seule ambition est une double aspiration :
1. premièrement, pouvoir, en langage simple, celui de l’évidence et de la clarté, parler au nom de mon peuple, le peuple du Burkina Faso ;
2. deuxièmement, parvenir à exprimer aussi, à ma manière, la parole du « Grand peuple des déshérités », ceux qui appartiennent à ce monde qu’on a malicieusement baptisé Tiers-Monde. Et dire, même si je n’arrive pas à les faire comprendre, les raisons que nous avons de nous révolter.

Tout cela dénote l’intérêt que nous portons à l’ONU, les exigences de nos droits y prenant la vigueur et la rigueur de la claire conscience de nos devoirs.

Nul ne s’étonnera de nous voir associer l’ex-Haute-Volta - aujourd’hui le Burkina Faso - à ce fourre-tout méprisé, le Tiers-Monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation intellectuelle, culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l’Histoire. Encore moins pour accepter d’être « l’arrière-monde d’un Occident repu ». Mais pour affirmer la conscience d’appartenir à un ensemble tricontinental et admettre, en tant que non-alignés et avec la densité de nos convictions, qu’une solidarité spéciale unit ces trois continents d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique dans un même combat contre les même trafiquants politiques, les mêmes exploiteurs économiques.

Reconnaître donc notre présence au sein du Tiers-Monde c’est, pour paraphraser José Marti, « affirmer que nous sentons sur notre joue tout coup donné à n’importe quel Homme de ce monde ». Nous avons jusqu’ ici tendu l’autre joue. Les gifles ont été redoublées. Mais le cœur du méchant ne s’est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et après qu’ils se soient revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l’ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle. Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des classes. Il n’y aura plus de gifles.

Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture.

Du reste, tous les nouveaux « maître à penser » sortant de leur sommeil, réveillés par la montée vertigineuse de milliards d’hommes en haillons, effrayés par la menace que fait peser sur leur digestion cette multitude traquée par la faim, commencent à remodeler leur discours et, dans une quête anxieuse, recherchent une fois de plus en nos lieux et places, des concepts-miracle, de nouvelles formes de développement pour nos pays. Il suffit pour s’en convaincre de lire les nombreux actes des innombrables colloques et séminaires.

Loin de moi l’idée de tourner en ridicule les efforts patients de ces intellectuels honnêtes qui, parce qu’ils ont des yeux pour voir, découvrent les terribles conséquences des ravages imposés par les dits « spécialistes » en développement dans le Tiers-Monde. La crainte qui m’habite c’est de voir les résultats de tant d’énergies confisqués par les Prospéro de tout genre pour en faire la baguette destinée à nous renvoyer à un monde d’esclavage maquillé au goût de notre temps.

Cette crainte se justifie d’autant plus que la petite-bourgeoisie africaine diplômée, sinon celle du Tiers-Monde, soit par paresse intellectuelle, soit plus simplement parce qu’ayant goûté au mode de vie occidental, n’est pas prête à renoncer à ses privilèges. De ce fait, elle oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux et elle refuse l’effort de réflexion pour inventer des concepts nouveaux à la hauteur du combat meurtrier qui nous attend. Consommatrice passive et lamentable, elle se regorge de vocables fétichisés par l’Occident comme elle le fait de son whisky et de son champagne, dans ses salons à l’harmonie douteuse.

On cherchera en vain depuis les concepts de négritude ou d’African Personnality marqués maintenant par les temps, des idées vraiment neuves issues des cerveaux de nos « grands » intellectuels. Le vocabulaire et les idées nous viennent d’ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos universités se contentent d’y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes dont ils sont produits, ils n’ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs et des superlatifs !

Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard –car il est déjà tard- que ces élites, ces hommes de l’Afrique, du Tiers-Monde, reviennent à eux-mêmes, c’est-à-dire à leur société, à la misère dont nous avons hérité pour comprendre non seulement que la bataille pour une pensée au service des masse déshéritées n’est pas vaine, mais qu’ils ne peuvent devenir crédibles au plan international, qu’en inventant réellement, c’est-à-dire en donnant de leurs peuples une image fidèle. Une image qui leur permette de réaliser des changements profonds de la situation sociale et politique, susceptibles de nous arracher à la domination et à l’exploitation étrangère qui livrent nos États à la seule perspective de la faillite.

C’est ce que nous avons perçu, nous, peuple burkinabé, au cours de cette nuit du 4 août 1983, aux premiers scintillements des étoiles dans le ciel de notre Patrie.

Il nous fallait prendre la tête des jacqueries qui s’annonçaient dans les campagnes affolées par l’avancée du désert, épuisées par la faim et la soif et délaissées.

Il nous fallait donner un sens aux révoltes grondantes des masses urbaines désœuvrées, frustrées et fatiguées de voir circuler les limousines des élites aliénées qui se succédaient à la tête de l’État et qui n’offraient rien d’autre que les fausses solutions pensées et conçues par les cerveaux des autres.

Il nous fallait donner une âme idéologique aux justes luttes de nos masses populaires mobilisées contre l’impérialisme monstrueux.

À la révolte passagère, simple feu de paille, devait se substituer pour toujours la révolution, lutte éternelle contre toute domination.

D’autres avant moi ont dit, d’autres après moi diront à quel point s’est élargi le fossé entre les peuples nantis et ceux qui n’aspirent qu’à manger à leur faim, boire à leur soif, survivre et conserver leur dignité. Mais nul n’imaginera à quel point « le grain du pauvre a nourri chez nous la vache du riche » !

Dans le cas de l’ex-Haute-Volta, le processus était encore plus exemplaire. Nous étions la condensation magique, le raccourci de toutes les calamités qui ont fondu sur les pays dits « en voie développement ». Le témoignage de l’aide présentée comme panacée et souvent trompetée, sans rime ni raison, est ici éloquent. Très peu sont les pays qui ont été, comme le mien, inondés d’aides de toutes sortes. Cette aide est en principe censée œuvrer au développement. On cherchera en vain dans ce qui fut autrefois la Haute-Volta, les signes de ce qui peut relever d’un développement. Les hommes en place, soit par naïveté, soit par égoïsme de classe n’ont pas pu ou n’ont pas voulu maîtriser cet afflux extérieur, en saisir la portée et exprimer des exigences dans l’intérêt de notre peuple.

Analysant un tableau publié en 1983 par le Club du Sahel, Jacques Guri dans son ouvrage « Le Sahel demain » conclut avec beaucoup de sens que l’aide au Sahel, à cause de son contenu et des mécanismes en place, n’est qu’une aide pour la survie. Seul, souligne-t-il, 30 pour cent de cette aide permet simplement au Sahel de vivre. Selon Jacques Giri, cette aide extérieure n’aurait d’autres buts que de continuer à développer les secteurs improductifs, imposant des charges intolérables à nos petits budgets, désorganisant nos campagnes, creusant les déficits de notre balance commerciale, accélérant notre endettement.

Juste quelques clichés pour présenter l’ex-Haute-Volta :
• 7 millions d’habitants, avec plus de 6 millions de paysannes et de paysans ;
• un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille ;
• une espérance de vie se limitant à 40 ans ;
• un taux d’analphabétisme allant jusqu’à 98 pour cent, si nous concevons l’alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue ;
• un médecin pour 50 000 habitants ;
• un taux de scolarisation de 16 pour cent ;
• et enfin un produit intérieur brut par habitant de 53 356 francs CFA, soit à peine plus de 100 dollars.

Le diagnostic, à l’évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu’être politique.

Certes, nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général, la politique d’assistance et d’aide n’a abouti qu’à nous désorganiser, à nous asservir, et à nous déresponsabiliser dans notre espace économique, politique et culturel. Nous avons choisi de risquer de nouvelles voies pour être plus heureux. Nous avons choisi de mettre en place de nouvelles techniques.

Nous avons choisi de rechercher des formes d’organisation mieux adaptées à notre civilisation rejetant de manière abrupte et définitive toutes sortes de diktats extérieurs, pour créer ainsi les conditions d’une dignité à la hauteur de nos ambitions. Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.

Au plan de la gestion économique, nous apprenons à vivre simplement, à accepter et à nous imposer l’austérité afin d’être à même de réaliser de grands desseins.

Déjà, grâce à l’exemple de la Caisse de solidarité nationale, alimentée par des contributions volontaires, nous commençons à répondre aux cruelles questions posées par la sécheresse. Nous avons soutenu et appliqué les principes d’Alma-Alta en élargissant le champ des soins de santé primaires. Nous avons fait nôtre, comme politique d’État, la stratégie du GOBI-FFF préconisée par l’Unicef.

Par l’intermédiaire de l’Office du Sahel des Nations Unies, nous pensons que les Nations Unies devraient permettre aux pays touchés par la sécheresse la mise sur pied d’un plan à moyen et long termes afin de parvenir à l’autosuffisance alimentaire.

Pour préparer le vingt-et-unième siècle, nous avons, par la création d’une tranche spéciale de la tombola « Instruisons nos enfants », lancé une campagne immense pour l’éducation et la formation de nos enfants dans une école nouvelle. Nous avons lancé à travers l’action salvatrice des Comités de défense de la révolution un vaste programme de construction de logements sociaux -500 en trois mois- de routes, de petites retenues d’eau... Notre ambition économique est d’œuvrer pour que le cerveau et les bras de chaque Burkinabé puissent au moins servir à inventer et créer de quoi s’assurer deux repas par jour et de l’eau potable.

Nous jurons, nous proclamons, que désormais au Burkina Faso, plus rien ne se fera sans la participation des Burkinabés. Rien qui n’ait été au préalable décidé par nous, élaboré par nous. Il n’y aura plus d’attentat à notre pudeur et notre dignité.

Forts de cette certitude, nous voudrions que notre parole s’élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair, tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité par une minorité d’hommes ou par un système qui les écrase.

Permettez, vous qui m’écoutez, que je le dise : je ne parle pas au nom seulement de mon Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.

Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire, ou qu’ils sont de cultures différentes et qui bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal.

Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves, afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur.

Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet des plus nantis.

Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabé. En retour, nous donnons en partage, à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil d’État et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous que l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits.

Je parle au nom de toutes les mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme et de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non plutôt à nous donner, à nous autres au Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.

Je parle aussi au nom de l’enfant. Cet enfant pauvre qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riche. La boutique protégée par une épaisse vitre. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier placé là par le père d’une autre enfant qui viendra se servir parce que présentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistes du système.

Je parle au nom de tous les artistes - poètes, peintres, musiciens, sculpteurs, musiciens, acteurs - hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business.

Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage.

Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage moderne.

Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’Humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes. C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d’hommes qui vont mourir chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim.

Militaire, je ne peux pas oublier ce soldat obéissant aux ordres, le doigt sur la détente et qui sait que la balle qui va partir ne porte que le message de la mort. (…)

Sur cette tribune, beaucoup m’ont précédé, d’autres viendront après moi. Mais seuls quelques-uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre. Oui, je veux parler au nom de tous les « laissés pour compte » parce que « je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’Humanité.

Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du Tiers-Monde.

Nous sommes à l’écoute des grands bouleversements qui ont transformé le monde. Nous tirons des leçons de la Révolution américaine, les leçons de sa victoire contre la domination coloniale et les conséquences de cette victoire.

Nous faisons nôtre l’affirmation de la doctrine de non-ingérence des Européens dans les affaires américaines et des Américains dans les affaires européennes. Ce que Monroe clamait en 1823, « l’Amérique aux Américains », nous le reprenons en disant « l’Afrique aux Africains », « le Burkina aux Burkinabés ». La Révolution française de 1789, bouleversant les fondements de l’absolutisme, nous a enseignés les Droits de l’Homme alliés aux droits des peuples à la liberté. La grande Révolution d’octobre 1917 a transformé le monde, permis la victoire du prolétariat, ébranlé les assises du capitalisme et rendu possible les rêves de justice de la Commune française.

Ouverts à tous les vents de la volonté des peuples et de leurs révolutions, nous instruisant aussi de certains terribles échecs qui ont conduit à de tragiques manquements aux Droits de l’Homme, nous ne voulons conserver de chaque révolution que le noyau de pureté qui nous interdit de nous inféoder aux réalités des autres, même si par la pensée, nous nous retrouvons dans une communauté d’intérêts.

Nous tenons à réaffirmer notre confiance en l’Organisation des Nations Unies. Nous lui sommes redevables du travail fourni par ses agences au Burkina Faso, et de leur présence à nos côtés dans les durs moments que nous traversons.

Nous sommes reconnaissant aux membres du Conseil de sécurité de nous avoir permis de présider par deux fois cette année les travaux du Conseil. Souhaitons seulement voir le Conseil admettre et appliquer le principe de la lutte contre l’extermination de 30 millions d’êtres humains chaque année, par l’arme de la faim qui, de nos jours, fait plus de ravages que l’arme nucléaire.

Cette confiance et cette foi en l’organisation me fait obligation de remercier le Secrétaire général, M. Pérez de Cuellar, de la visite tant appréciée qu’il nous a faite pour constater, sur le terrain, les dures réalités de notre existence et se donner une image fidèle de l’aridité du Sahel et de la tragédie du désert conquérant.


Monsieur le président,
J’ai parcouru des milliers de kilomètres. Je suis venu ici pour demander à chacun que nous puissions mettre ensemble nos efforts pour que cesse la morgue des gens qui n’ont pas raison et le triste spectacle des enfants mourant de faim, pour que disparaisse l’ignorance, pour que triomphe la rébellion légitime des peuples, pour que se taise le bruit des armes et qu’enfin, avec une seule et même volonté, luttant pour notre survie, nous parvenions à chanter en chœur avec le grand poète Novalis :
« Bientôt les astres reviendront visiter la terre d’où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; le soleil déposera son spectre sévère, redeviendra étoile parmi les étoiles, toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une très longue séparation, les vieilles familles orphelines se retrouveront et chaque jour verra de nouvelles retrouvailles, de nouveaux embrassements ; alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, en chaque tombe se réveillera la cendre éteinte, partout brûleront à nouveau les flammes de la vie, les vieilles demeures seront rebâties, les temps anciens se renouvelleront et l’histoire sera le rêve d’un présent à l’étendue infinie ».

(…) La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Je vous remercie.


Ad Valorem


Rédigé par psa le 06/01/2014 à 01:00



Le lourd fardeau de l’immobilisme politique au Togo durant plus de cinquante ans a émergé aux yeux du monde en cette année 2013. L’année 2013 avait commencé par des incendies dont celui du plus grand lieu d’affaires au Togo, le marché de Lomé, la capitale togolaise. 2013 s’est terminée par la dénonciation voire la condamnation de la justice togolaise à travers une mise à nu de ses nombreuses insuffisances –pudiquement nommées « dysfonctionnements », par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme qui faisait ainsi ressortir de bien graves carences dans un retentissant « Rapport sur le respect et la mise en œuvre des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans l’administration de la justice au Togo ». Désormais, il apparait que nul progrès ne sera réalisé au Togo si l’humanité ne sort grandi de chaque décision des tenants du pouvoir; le chef d’État togolais lui-même doit prendre ses responsabilités.


Mandela est Togolais
On se souvient bien qu’au lendemain des incendies criminels de janvier 2013, le chef d’État togolais, Faure Gnassingbé, établissait le constat du drame particulier que vivait le Togo entier, quelques mois après l’odieux évènement : « Chacun peut (…) lire encore sur les visages de nos concitoyens, l’étendue de la peine et le désarroi profond. Les traumatismes affectent encore des milliers de foyers, modestes pour la plupart, où tout est aujourd’hui remis en cause, parce que tout reposait sur le dur labeur et le courage d’une mère qui a tout sacrifié pour monter un petit commerce, aujourd’hui parti en fumée. » On comprenait aussi l’indignation que traduisait le chef d’État togolais lorsque dans le même discours à la nation, en avril 2013, il s’indignait : « rien ne peut justifier les incendies criminels qui ont dévasté les marchés de Kara et de Lomé. Aucun agenda politique, aucun combat de quelque nature que ce soit, ne peut justifier de tels égarements ! »

Voilà qu’en place et lieu d’une justice réparatrice et exemplaire dans les circonstances, c’est tout un plan de règlements de compte politique, tout un « agenda politique » comme Faure Gnassingbé lui-même le dénonçait, que son gouvernement a mis en exécution avec la complicité d’une justice aux ordres, et à tous les niveaux. Et pourtant, le chef d’État togolais assurait le monde entier de l’indépendance de la justice dans le traitement du traumatisme unique qui affectait des milliers de foyers dans son pays : « C’est l’occasion pour moi de saluer les efforts que la justice continue de déployer pour la manifestation de la vérité. Ces efforts doivent être poursuivis avec détermination et en toute indépendance. Le travail de la justice doit se faire dans la sérénité et dans le respect des principes de l’État de droit, à toutes les étapes de la procédure. » La suite des choses révèlera une autre histoire de bas étage politique.


La joie de se sentir irresponsable… toute une joie !
Déception sur toute la ligne ! Depuis janvier 2013, et seulement quelques jours après le drame des incendies, une justice asservie s’est mise en œuvre pour incriminer les adversaires politiques du président togolais, révélant au grand jour la faiblesse de la fonction judiciaire au Togo et partant, le drame togolais sous toutes ses facettes, tout le long de ces douze derniers mois. Et le constat est gravissime : nul ne peut plus croire les dirigeants du Togo, un pays où la simple confiance a déserté toutes les institutions, un pays où certains ont « la joie de se sentir irresponsables, et de penser qu’ils peuvent dévorer tout », les vies comme les ressources ; un pays où la simple hypothèse du respect des citoyens fatigue les tenants du pouvoir et provoque leurs déchaînements intempestifs courroucés ; un pays où la société est tellement en danger que le Rapport de l’instance onusienne croit bon d’écrire dans ses conclusions :  
« En tout état de cause, une réforme du secteur de la justice devra concilier le respect des droits de l'homme et des libertés individuelles avec les exigences de protection de la société. À cette fin, il importe de favoriser la participation de toutes les parties prenantes dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures qui permettront d’aboutir à une administration de la justice conforme aux normes et standards internationaux relatifs aux droits de l’homme. » Pour une terminaison diplomatique, c’est est une.

Voilà que le tout dernier discours du chef d’État togolais à la nation, dans l’allocution traditionnelle de nouvel an, celle annonçant 2014, Faure Gnassingbé semble faire l’impasse sur les véritables enjeux internes du moment, tous vitement liquidés dans une étonnante sobriété allusive dénommée « esprit de concorde ». Faure Gnassingbé reste fidèle à lui-même, désespérément aqua-planeur et sans conviction quant à son devoir et à sa promesse de changement, la sécurité et la lutte contre le terrorisme ayant pris une place particulière pour répondre à certains impératifs externes régionaux.

Ainsi bafoué par l’injustice, le sentiment général qui se dégage du Togo au terme de l’année 2013 est véritablement celui d’une dignité blessée et d’un avenir compliqué, c’est-à-dire l’exclusion de toute perspective éthique de refondation de la République basée sur la fiabilité politique, la réconciliation des citoyens et le respect des adversaires. Autrement dit encore, l’enfantement du mieux politique au Togo présente beaucoup trop de convulsions inattendues pour croire aux propos des dirigeants ; des propos qui sont devenus des asymptotes intrinsèquement impossibles à mener vers la sincérité ou vers leur propre promesse de faire advenir un autre Togo, un État de droit, un pays partagé et enrichi par tous.

Désormais, c’est à l’aune de ce Rapport onusien que le Togo va être jugé. Et longtemps encore, les promesses, les défenses et les discours des dirigeants togolais vont être appréciés à leur plus simple fausseté, le sourire diplomatique aux coins des visages rencontrés ici et là. En attendant, le peuple togolais souffre, sa jeunesse tire le diable par la queue d’autant plus que 2014 ne s’annonce pas moins ténébreuse.

En effet, rien, absolument rien, ne permet de croire que les ressources du Togo seront mieux investies au service du pays ; croire que les inculpations fantaisistes seront abandonnées dans l’affaire des incendies au profit d’une enquête crédible et impartiale, croire que des élections locales non-truquées auraient lieu dans tout le pays, croire à l’indépendance de la justice, croire au relèvement du traitement du personnel enseignant et celui de la santé, croire à la pratique de la bonne gouvernance, croire à un engagement pour le seul progrès du Togo. C’est à croire que le pays a manqué son rendez-vous avec lui-même ; en retard sur son temps, en déphasage par rapport à ses citoyens : un pays sans audace politique évolutive, un pays où la vengeance d’un fils Gnassingbé devrait véritablement être tout autre chose que la déception, l’inaction et l’imposture. Désormais, il faudra partir de ce froid constat d’immobilisme politique pour élucider l’urgence d’agir propre à cette année 2014. Et cela tient de notre devoir de citoyen.


Que le Nelson Mandela en Faure Gnassingbé sorte en 2014
C’est en cela que Nelson Mandela devient résolument Togolais ; il l’était déjà par son universalité, il le devient davantage par l’urgence de la particularité togolaise. Il est véritablement temps de mettre fin à la situation politique malsaine et délétère du Togo. C’était écrit que même l’avenir n’attend pas, il n’attendra donc pas le Togo : « L’avenir passe. Demain ne peut plus attendre. » Anéantir ce qui retarde tant le Togo, en prenant des décisions courageuses que requiert la situation lamentable et persistante du pays : accepter de sacrifier les intérêts particuliers au profit de l’intérêt général porteur de compétence et de réconciliation, de justice et du pardon, du « Grand Pardon » même qui fut trop tôt diagnostiqué et prescrit dans le cas togolais par un de ses éminents fils... C’est vrai, il avait eu le tort d’avoir parlé trop tôt de ce « Grand Pardon », parce qu’il savait que l’avenir passe vite pour laisser la place au retard… On le voit bien!

Au Togo, il n’y a d’alternative de progrès et de développement que le choix de la vérité et de l’humilité dans toutes leurs formes et applications par les tenants du pouvoir. Aucune autre avenue n’existe devant l’échec répété, et surtout l’artifice politique mystificatrice mise en œuvre, directement ou indirectement, pendant si longtemps au Togo. Que la vaillance et la compétence, l’audace et la responsabilité soient toutes réunies pour que les promesses mêmes du chef d’État togolais lors de sa captation du pouvoir en 2005 soient enfin réalisées : le vrai dialogue républicain, la réconciliation sincère ainsi que le développement sans leurre. L’année 2014 presse au Togo. Demain ne peut plus attendre tous les mandats futurs de Faure Gnassingbé, du troisième mandat déjà supputé à tous les autres mandats présidentiels subséquents visiblement caressés ; tous les mandats futurs sont désormais réunis en cette 2014.

Que l’ébauche de Faure Gnassingbé depuis 2005 aboutisse en un chef-d’œuvre à la Mandela en cette fin de son deuxième mandat. Qu’un ébranlement des intelligences se produise en 2014 pour qu’enfin le Togo change, parce que les peurs et les frayeurs des uns et des autres se seront dissipées. Nul n’écrasera l’autre dans un Togo démocratique ; aucune légalité n’asservira une seule légitimité au Togo, bien au contraire chacun sera mieux servi et la République trouvera ses comptes.

C’est connu : « Un chef d’œuvre existe une fois pour toutes » sans empêcher les autres d’exister, d’être reconnus et d’être célébrés. Ainsi existe Mandela, ainsi existe Mathieu Kérékou à son échelle tout aussi grande, malgré ses erreurs du début de son aventure politique; ainsi existera un autre Faure Gnassingbé au Togo et au-delà, s’il le veut bien. La politique reste encore l’infini possible. Et, lorsque la noble politique est mise au service de son peuple sans aucune malice, ce peuple sait absoudre et élever de tels dirigeants courageux et adeptes du bien, malgré leur imperfection.

Dans la vie d’un pays, « l’espacement de l’illimité admet toutes les créations », toutes les créativités mêmes ; le Togo attend celle de Faure Gnassingbé pour 2014 et pas après. Sans aucun doute : il y a dans Faure Gnassingbé un autre Faure Gnassingbé que celui que nous avons vu jusqu’à maintenant. Que le Nelson Mandela en Faure Gnassingbé sorte. Enfin pour le Togo, une progression politique audacieuse, arithmétique, géométrique, exponentielle même en cette année 2014. Enfin, il y a nécessité de changer le Togo maintenant que la préséance ethnique se dissipe sensiblement du paysage politique, et permet une conception unitaire du pays. Changeons notre pays… changeons le Togo !


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