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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le secret pour être un démocrate reconnu est de commencer par être un simple démocrate. Nous sommes loin de ce commencement de la pratique démocratique au Togo. Et une telle épiphanie du bon sens, c’est même ce qui est rare dans le paysage politique togolais. Pourtant, ce sont ces preuves indélébiles et persistantes de simplicité et de non-soumission à l’arbitraire qui rehausseront le débat et valoriseront les personnes les mieux qualifiées à conduire le combat vers l’alternance au Togo : un pays où la démocratie n’a pas encore dit son dernier mot, face aux inégalités croissantes et révoltantes instituées en système de gouvernance.


La porteuse d'eau
La porteuse d'eau


Pour le pouvoir présidentiel togolais, c’est connu, c’est promis et c’est juré : la démocratie attendra, même si le peuple la voulait depuis longtemps, depuis toujours. Surtout que ce pouvoir impose à la fois un passif et un actif répressifs impressionnants, régulièrement renouvelés. Mieux encore, la trouvaille de la Recommandation 8 –glissée dans le rapport de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) par une main vicieuse, offre un paisible détroit dans lequel toutes les mauvaises volontés politiques pourront se baigner sans fin.

Les réformes institutionnelles elles-mêmes y dorment déjà, tout simplement et astucieusement déclarées dans la fameuse Recommandation 8 de la CVJR comme : « questions complexes (…) modèle occidental (…) ce modèle éprouve du mal à régir notre société nationale pluriethnique où les réflexes grégaires ou communautaristes continuent d’être prédominants ». Finie et réglée, cette question prétendument occidentale portant virus démocratique et diagnostiquée impropre au Togo. La démocratie attendra! Vite, une autre Commission pour diluer ces réformes ambitieuses…

Pour l’opposition togolaise –et c’est en cela que le bât blesse tous les démocrates, le temps a fini par mettre tout en lumière. La découverte est de plus en plus effroyable dans les rangs de l’opposition togolaise porteuse des espoirs de changement et d’alternance : comme dans chaque drame shakespearien, « même dans les sourires des uns et des autres se retrouvent toujours des poignards » aiguisés, prêts à être plantés dans le dos de chaque partenaire. Alors, on découvre avec persistance que chaque association de l’opposition togolaise était sans conviction, fausse; chaque regroupement était sans engagements, mort-né; toutes les occasions font des abandons, et font même des larrons par lesquels devra s’échapper toute la ferveur démocratique récente. Incroyable! Hier encore, ils étaient ensemble tous, pourtant.

Il est donc pratiquement impossible de faire équipe politique au Togo en faveur de la démocratie. D’un côté, un pouvoir réfractaire à tout changement, et de l’autre, une opposition aux prises avec ses divisions légendaires calculées au millimètre près des échéances électorales. Pourtant, depuis François d’Assise, nous savons que réaliser l’impossible est aussi du domaine des humains, et d’autres oppositions démocratiques africaines ont appris la leçon : « commencer par ce qui est nécessaire, ensuite faire ce qui est possible et soudainement l’on se découvre à réaliser l’impossible ».


Même l’union des médiocres fait la force

L’histoire du combat démocratique au Togo ressemble fortement à celle de la conversion tardive du saint mendiant que fut Giovanni di Pietro Bernardone, François d’Assise, celui qui a changé sa ceinture de cuir contre une corde, par humilité et probablement pour mieux se retenir et s’arrimer irrémédiablement à notre humaine condition. Et pour tout dire, ce n’est pas pour rien que le Pape François lui-même se réclame, un millénaire plus tard, de cet engagement audacieux et d’une si grande simplicité restée contemporaine en permettant la rédemption plutôt que la mort de tout pécheur.

Sur un plan plus séculier, les tares et les malheurs de la démocratie togolaise sont plutôt étonnants. Ces tares et ses malheurs restent particulièrement ancrés dans l’album des facilités que collectionne une frange de l’opposition togolaise : la facilité maladive à ne combattre que ses propres compagnons de route de l’opposition, la facilité de succomber à l’attrait du drame et ainsi crier au loup parce que seulement son idée n’est pas retenue en groupe, la facilité à penser que son parti vaut autant que ceux qui sont les mieux établis sur le territoire national, etc. Une telle succession de facilités fait même qu’au Togo, « la trahison qui prospère, personne n’ose plus l’appeler trahison » de tout un peuple togolais meurtri, sinistré, en attente de changement politique et de regain d’enthousiasme comme ses voisins béninois, burkinabés et ghanéens.

Et pourtant c’est connu : « Dans l’union s’affirme la force d’hommes même très médiocres ». Mendiants ou guerriers de la démocratie, les Togolais porteurs de l’idéal démocratique doivent désormais retourner à l’essentiel : reprendre le chemin des ancêtres, fabriquer ou choisir leur bataille, préparer leur victoire avec autant d’engagements que de simplicité : « Il n’y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat ». Reprendre les mêmes chemins que les ancêtres devient un impératif pour réincarner cette « Terre de nos aïeux ».

Même sans adversaires, même sans partenaires, même sans gouvernants, la démocratie se poursuit et se gagne sur soi-même et par soi-même avant tout. La volonté démocratique se doit ainsi d’être perpétuelle au Togo également. Car, le devoir de démocratie et d’alternance existe et persiste partout, non pas parce que les acteurs politiques sont tous d’affreux dictateurs ou d’incorrigibles diviseurs, mais d’abord et avant tout parce que ce ne sont que des humains, soumis aux tentations humaines de s’éterniser au pouvoir, qu’ils soient des Américains, des Béninois ou des Congolais; des Allemands, des Français, des Ghanéens, des Togolais, des Canadiens ou simplement encore toute personne « à la douleur universelle » en quête de dignité, inusable dans ses revendications et toujours décidée :

« Désespérée mais non pas résignée
Obstinée dans ta compassion et le salut collectif
Malgré les malheurs avec tous et entre nous
Qu’ainsi à l’exemple des pauvres tu as ton orgueil
Et comme des pauvres ensemble un jour tu seras
Dans une conscience ensemble
Sans honte et retrouvant une nouvelle dignité
.

Et tout cela, parce que citoyennes et citoyens :
« Nous avons laissé humilier l’intelligence des pères
Nous avons laissé la lumière du verbe s’avilir
Jusqu’à la honte et au mépris de soi dans nos frères
Nous n’avons pas su lier nos racines de souffrance
À la douleur universelle dans chaque homme ravalé.




Mot à Maux


Rédigé par psa le 07/08/2015 à 05:50
Tags : Démocratie Togo Éthique Notez



« Les démocrates togolais ne peuvent pas quitter une souffrance, celle de la désunion, sans l’avoir reconnue » disais-je dans ma dernière sortie « Fin du silence démocratique togolais » du 29 juillet 2015, ci-avant. Véritablement, c’est bien ce que je pense. Certaines discussions amicales ont néanmoins fait ressortir la nécessité d’éclaircir davantage ma pensée, et rapidement. Allons-y alors, comme j’ai eu à le faire déjà auprès de certaines personnes.


Dieudonné Amigoé
Dieudonné Amigoé


Il n’y a pas si longtemps, dans l’organisation même de l’opposition togolaise, de mémoire et avec des personnalités politiques aussi imminentes que Léopold Gnininvi, Édem Kodjo, Gilchrist Olympio, Apollinaire Agboyibo et autres, une présidence tournante fut instituée toutes les deux semaines. Une telle idée, à l’époque déjà, tout à fait incompréhensible, consacrait la division et le manque de confiance qui régnaient dans l’opposition togolaise. Naturellement, les partenaires occidentaux trouvaient ridicule de ne pouvoir disposer d’interlocuteurs aussi longtemps que 14 jours pour parler de l’avenir du Togo. Les citoyens togolais eux-mêmes étaient perplexes devant l’efficacité de cette présidence tournante à chaque quinzaine.

Depuis lors, les expériences diverses de regroupements des partis politiques au sein de grands ensembles n’ont pas réussi à régler ce manque de confiance entre les acteurs de l’Opposition démocratique togolaise. Les dernières expériences du CST, le Collectif Sauvons le Togo, et sa translation qu’est le CAP 2015 sont particulièrement édifiantes à cet effet. Malgré le travail remarquable effectué par le professeur Zeus Ajavon dans un contexte togolais très acrimonieux, des défections déraisonnables ont fini par incommoder tout le monde.

Pensons seulement à tous ces drames de retraits de certains partis politiques du CST ou du CAP 2015, que ces partis aient eu raison ou pas. Pensons donc à ces drames de déballages publics, à peine diplomatiques, issus de ces mécontentements des partis politiques comme OBUTS d’Agbéyomé Kodjo, ADDI d’Aimé Gogué, MRC d’Abass Kaboua, Santé du peuple de Dr Georges William Kouessan et autres, sans oublier les absences d’autres personnalités associées à la l’Opposition.

Défections justifiées ou calculs politiques légitimes, le devoir de regroupement des partis de l’opposition togolaise, face à un pouvoir récalcitrant à tout changement, reste toujours d’actualité. Il y a donc lieu de trouver l’antidote propre à une telle désunion chronique, avec l’idée réaliste que l’unité parfaite de l’opposition togolaise n’est pas réalisable de toutes les façons, et peut-être même pas souhaitable finalement.

Pour quitter la souffrance de la désunion, la voie qui me semble indiquée depuis bien longtemps est l’acceptation et la reconnaissance du leadership du parti le plus représenté et le plus distinctif de la volonté de changement inaliénable du peuple togolais. Et pour l’heure, ce désir est incarné dans l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC). Une opposition forte au Togo doit ainsi reconnaître la place et le rôle moteur de l’ANC.

Il est indéniable que la robustesse de l’ANC sur le terrain est ostentatoire et souvent stratégique pour la continuité et l’efficacité de l’action politique des forces du changement au Togo. Évidemment, il revient aux partenaires de l’ANC dans tous les regroupements possibles de bénéficier de la considération adéquate de ce parti meneur. Dans bien de cas, l’ANC est différente de l’UFC et en ce point, plus coopérative lorsque l’on a déjà connu ce que fut la domination de l’UFC d’une certaine époque, et surtout personnalité de son maréchal… Il n’avait même pas le temps de s’associer à quel que parti que ce soit, et c’est peu dire. L’ANC n’est pas l’UFC. Penser le contraire, c’est se tromper royalement en politique togolaise.

Il n’y a pas lieu de passer par quatre chemins : le combat pour l’alternance politique ainsi que l’éclosion d’un État de droit au Togo exigent un ralliement raisonnable et républicain sous un leadership reconnu. « Les démocrates togolais ne peuvent pas quitter une souffrance, celle de la désunion, sans l’avoir reconnue » et en empruntant la sortie de secours la plus réaliste, la plus proche, la plus démocratique, en somme la voie la moins démagogique. Eh oui, la démocratie au Togo, ça trompe parfois; mais ça presse surtout. J’ai redit!



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