Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Maître de conférences en Génie des procédés, Omar Chaalal entame l’année avec un texte puissant qui traduit le désaroi généralisé face à la corruption et ses méfaits quotidiens. Une réalité diurne, aussi bien présente dans les grandes démocraties que dans les pays en développement, au corps défendant des citoyens. Le texte fait école : du visible Afghanistan au plus reculé Bantoustan, d’Oran, la ville du professeur d’université algérien, à Ottawa, la capitale fédérale canadienne, en passant par la pudique Osaka, plus rien ni personne n’échapperait à la corruption qui semble même devenir sainte et auguste, au besoin, surtout lorsque la raison du plus influent est souvent la meilleure: « Acheter un passeport pour visiter les lieux saints est une corruption permise par le bon Dieu ». Comme quoi, la terre de naissance de Camus possède toujours de ces pertinents Révoltés qui lèvent la patte sur tout.


Eija-Liisa Ahtila
Eija-Liisa Ahtila
Dans ma mémoire se cachent les beaux souvenirs de mon enfance, les inoubliables histoires de mes amis avec qui j’ai fait l’université ou le service national au barrage vert. Ces souvenirs traduisent la bravoure, le sérieux, l’exactitude et la détermination des hommes forts et honnêtes.
Aujourd’hui, le rythme et la mélodie de la musique ont changé. Le globalisme de la corruption impose la chanson: Je m’en moque ! Je m’en fiche ! Ça ne me regarde pas et ce n’est pas mon affaire ! A vrai dire, je ne prétends pas détenir la solution merveilleuse des problèmes de la corruption dans mon pays. Les racines de ce mal sont si profondes qu’on ne sait plus par quoi débuter ni par où commencer. Je ne suis pas un procureur de la République bien couvert par sa toge noire. Je ne suis pas un inspecteur enquêteur qui pioche dans les affaires louches en guise de punir les actes illégaux. Je ne suis pas non plus un sanglier qui rabaisse son groin pour chercher les racines en profond. Je suis tout simplement un Algérien conscient de la situation actuelle dans son pays. Un éducateur qui constate et décrit les faits tels qu’ils sont.
Dans le dictionnaire universel, la corruption, le crime et la honte sont synonymes. La corruption, ce mot qui nous fait peur et dont la pratique se rencontre partout et sous différentes formes. Elle gangrène le secteur public, tue la confiance dans les gouvernements, diminue l’efficience des politiques, affaiblit les régimes et détruit la nation.
Il ne faut pas faire une guerre pour détruire une nation, il suffit d’encourager et enseigner la corruption. Nous sommes en plein milieu de l’une des grandes crises financières de l’histoire. Les affaires louches et les jeux cachés des malhonnêtes dans les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de collecte de l’épargne sont la cause de cette crise.
Lorsque nous ne sommes pas assez intelligents et nous ne demandons pas conseil aux plus intelligents, l’ombre de «Khalifa» nous attire et nous fait rouler comme un couscous. Mais quand nous prétendons être intelligents, experts et bons gestionnaires, les compagnies étrangères nous revêtent notre chaussée d’une mince couche de miel chinois et nous minent le parcours. Enfin, quand nous sommes assoiffés et précipités, les aventuriers nous guettent et nous obligent d’acheter notre eau de mer au prix de la «fuente de agua minéral» (eau minérale espagnole).
J’enseigne à mes étudiants de technologie et je leur apprends que dans le monde des affaires industrielles louches, vous commandez un chat, on vous cède une souris à sa place. Tout comme un golfeur choisit le bâton approprié aux différentes situations du parcours, l’acteur dans le monde de la corruption dispose d’un langage approprié à son influence et adapté à son chantage. Dans ce langage, les mots ont un sens calmant. Le symbolisme les rend difficilement compréhensibles. Le cerveau d’un citoyen honnête ne peut pas déchiffrer ce langage. En écoutant de près une discussion entre les corrompus et les corrupteurs, il nous semble qu’ils utilisent fréquemment le même vocabulaire, les mêmes mots, et pourtant ces mots n’ont pas le même sens. Comme par exemple «Cahoua» ne signifie plus café mais pot-de-vin… la «chipa» est un autre mot dans ce patois corruptif. Les policiers et les juges sont familiers avec ce jargon qui ressemble à une langue étrangère venue d’une autre planète.
C’est dans cette optique que l’on peut voir de simples commerçants, des agents du fisc, des policiers, des douaniers, des greffiers, des notaires ou de simples paysans s’adonner à cette pratique, en acceptant de l’argent contre un service, un faux témoignage, une transaction douteuse ou un titre de propriété irrégulier !
Aujourd’hui, l’administrateur ne supporte pas qu’on lui parle de ce fléau puisque l’administration matérialise le problème et dessine la solution. Il se sent mal à l’aise dans son costume de monsieur honnête commis de l’Etat. De la même manière, l’homme de la rue observe de près et avec une profonde inquiétude la courbe exponentielle ascendante de la corruption. Une corruption ombrée d’affaires politiciennes. Il attend avec impatience le changement radical dans un futur immédiat. Il a donné carte blanche à notre ami et lui fait grande confiance. Il attend le coup fort et irréversible du bâton du grand maître responsable. A l’école, M. Abdelaziz Belkhadem, éducateur que je respecte, nous a appris qu’une mauvaise conduite impunie colle une mauvaise étiquette au dos du maître éducateur. C’est ce que les sages ressentent du baromètre de l’atmosphère sociale dans notre pays ces jours-ci.
L’Algérien n’est pas candide. Il sait absolument que le goût pour le pouvoir est à l’origine de la corruption. Il réalise bien que l’exercice du pouvoir pendant une longue période enfante des tentations chez les hommes qui le pratiquent. Le tamis politique ne cache pas le soleil mais cache le passage d’un ministre dans cinq ministères en un temps record. Un ministre qui enseigne, communique, soigne et transporte la mégalomanie et l’arrogance politique pour ne pas dire une folie incurable là où il passe.
Le fatal «mektoub» dans notre pays veut que les donneurs d’ordres soient positionnés sur une échelle de valeurs chimériques. Sur cette échelle, les ordonnateurs se penchent toujours comme un roseau vers la bise la plus influente même si cette bise ramène un scandale politique. Ils méprisent toute brise qui ramène un savoir-faire, un savoir-vivre, une paix durable, un bien-être, un honneur ou un espoir pour le peuple.
Ils sont restés trop longtemps perchés sur nos têtes. Ils nous font croire qu’ils tombent du ciel avec un droit extraordinaire qui les rend intouchables. Ils possèdent des relations et des techniques abracadabrantes importées de je ne sais où. Ces techniques s’appliquent chez nous comme des miracles à la célérité de la lumière. Ils oublient par contre, que la lumière met en relief leur corruption. Une corruption bâtie sur l’hypocrisie, les mensonges, l’arrogance de l’ignorance, l’erreur et la méchanceté.
En réalité notre pays a un problème avec ses hommes politiques. Trop nombreux, trop protégés, souvent inamovibles pour ne pas dire éternels, pas toujours représentatifs du peuple et venant par hasard du même recto.
Nos élus politiques ne critiquent jamais le système éducatif qui ne conduit ni à la lecture, ni à l’esprit critique, ni à la culture d’accepter l’idée de l’autre. (…) Dans le pénible rouage du quotidien inéluctable et le silence voulu, certains fonctionnaires abusent de l’ignorance et la bonté d’un citoyen pour le faire galoper d’une administration à une autre comme un cheval en rage. Le mont de paperasse demandé au citoyen accouche d’une montagne de corruption chaque jour. A quand l’arrêt de la gabegie ! Si la corruption est dans cet état, c’est bien à cause de la gestion du pays au modèle de la petite auberge espagnole.
Où sont nos élus dans cette marmelade bureaucratique ? Ils sont sûrement à Draria ou Bouharoun entre brochettes et poissons bien grillés à la braise !
Tous nos élus, du député ou sénateur au plus petit des maires, se doivent de donner l’exemple et combattre la corruption puisqu’ils sont élus pour représenter la grandeur et la fierté du peuple et non pas pour représenter la profondeur de leurs poches. Les gens des cafés maures ont compris, depuis bien longtemps, qu’un ex-président du Parlement trop bien introduit dans le monde des affaires et noyé jusqu’au cou dans les pots-de-vin ne considère jamais la corruption comme mal social. Au contraire, il catalyse la réaction alchimique de son influence pour la rendre une corruption de qualité universelle. Il me semble que nous ne sommes pas trop loin du pays africain dont je ne peux citer le nom. Dans ce pays, le peuple demanda un beau jour à son président d’entamer une campagne anti-corruption. Le président, sans aucune ambiguïté, demanda de l’argent contre ce service très délicat.
Il faut bien signaler à notre ami (qui comprend très bien les sous-entendus) qu’un ministre trop longtemps dans son poste construit autour de lui un ensemble de cercles d’affaires congrus à l’ombre. Ces cercles dévorent l’économie du pays, faussent la politique et maintiennent définitivement un climat de haine et de vengeance dans la rue.
Face à ces cercles invisibles, se développent des argumentations très surprenantes de la part de certains de nos dits «élus» … «Les autres font pareil», «La corruption ça a toujours existé», «Nous ne sommes pas des anges» … «Nous sommes du peuple et si nous sommes ainsi… le peuple est donc corrompu !».
Ce raisonnement me fait penser au petit bétail qu’on mène à l’abattoir en lui faisant croire qu’il part en promenade. Comme ça nos députés et nos sénateurs ramènent le peuple vers son destin de malheur tranquille et confiant, en chantant et en applaudissant.
Par un langage politique confus et plat, certains sénateurs facilitent la propagation du ce désastre d’une part et accélèrent la propagande du tout va très bien chez nous, d’autre part. Pour les députés, recevant un salaire astronomique tout juste pour lever la main droite deux à trois fois par an, le changement est dangereux.
Dans un état d’indifférence totale, nos élus profitent des privilèges de monsieur politique et chantent tout bas: c’est la vie de pacha, pourvu que ça dure ! Mais pour nous, pauvres citoyens qui se nourrissent de pain et de lait en sachet, le dur fatigue et déconforte.
Débattre le sujet de la corruption au parlement est presque une grossièreté pour les uns. C’est une aventure politique pour ne pas dire le suicide du gagne-pain pour les autres. Alors, à défaut de parlement efficace, les amis du pain et du lait ensaché utilisent l’idée d’Honoré de Balzac «Le comptoir d’un café est le parlement du peuple». Le débat de la corruption se déroule dans les cafés maures, les places publiques, les marchés hebdomadaires et même aux bains maures ! Dénoncer la corruption est chose plus facile à dire «dans un café maure» qu’à faire dans «les deux chambres cuisine de nos élus – sénateurs et députés».
Du bouillon indigeste de nos politicards, la corruption déborde les pots. La parlote existe mais l’action cherche une place chez nos élus. Pour le dire en toute clarté: le premier devoir des députés et des sénateurs, c’est de veiller à ce que chaque citoyen vive dans la dignité. Une dignité lui permettant de défendre ses droits et d’assumer ses obligations en toute liberté et en toute responsabilité. Députés ou sénateurs, ils doivent tous revenir à l’école pour apprendre comment exercer le métier de représentant du peuple. Le port de la «djellaba» en poil de chameau ne suffit pas pour représenter les fellahs. Le turban haut, incliné et bien serré ne fait pas un cheikh du modèle Emir Abdelkader ou cheikh Al Haddad. Une apparition conditionnée par la présence de la télévision chez cheikh Belkaïd à Oran n’est pas une condition nécessaire et suffisante pour représenter le peuple. Elle peut attirer l’attention de notre ami mais jamais son intention. A vrai dire, notre ami est très intelligent, il sait faire la différence entre un pingouin et un porcelet. Les démarches des deux créatures n’ont pas les mêmes intentions. Le premier se baigne dans l’eau, le second se baigne dans les ordures.
Pour la majorité des Algériens, l’espoir de vivre ou même de mourir sans avoir eu une affaire liée à la corruption est illusoire. Mais pour l’Algérien qui se laisse illusionner par les mensonges politicards, la corruption est utopique dans notre pays. Pour l’Algérien ermite, vivant en marge de la société, la corruption est inexistante.
L’impensable existe. Acheter un passeport pour visiter les lieux saints est une corruption permise par le bon Dieu, nous affirme un garçon de Dieu. Déshabiller Saint Paul pour habiller Saint Pierre, c’est de l’aumône sous forme de corruption sainte qui porte le nom de «charité bien ordonnée commence pas soi-même». Cette corruption est un geste auguste de solidarité, affirme un bigot parvenu. Face à cette honte ubiquiste, l’éthique, la morale et les valeurs d’intégrité, d’honnêteté ne signifient pas grand-chose. C’est la dignité humaine elle-même qui est affectée. C’est la honte absolue, même dans le règne animal.
Que ce soit dans le domaine politique, économique, bancaire, écologique, social, etc., ce sont les systèmes de régulation et de contrôle – qui existent pourtant sur le papier – qui sont inopérants, hormis peut-être la presse parce qu’elle peut agir directement sur l’opinion publique.
Il est enfantin de croire qu’un discours de philosophie démago-politique bien exprimé et très bien applaudi mettra fin à la corruption. C’est la rigueur, le sérieux et l’intégrité des citoyens qui font barrière à ce cancer qui ronge la nation. C’est la législation bien élaborée et non le souhait des farfelus qui engage et définit les moyens de lutte contre la corruption. Que se passe-t-il dans mon cher pays ? La réglementation existe, le policier qui renforce la loi est physiquement omniprésent mais la corruption s’éternise. Ce phénomène de coexistence de choses antagonistes est anormal et inacceptable. Je suis très gêné de dire qu’en quelque sorte le pouvoir et la corruption sont confondus. Si le citoyen ne peut attendre de la justice qu’elle extermine ce fléau qui le hante tous les jours, du moins puisse-t-il espérer qu’elle lui apporte protection, soutien et assistance ou secours une fois victime de ce malheur. Les amusements avec les lois sont si complexes, que notre intelligence humaine ne peut plus expliquer comment un simple douanier gagne sa vie mieux qu’un professeur à l’université pour ne pas dire un officier supérieur dans l’armée nationale qui défend la nation.
Dans un pays où la raison du plus influent est souvent la meilleure, il n’est pas étonnant de voir des commerçants fraudeurs faire la pluie et le beau temps avec leur argent sale et malpropre, certains douaniers défendre leurs privilèges à coups de craie sur les valises, et enfin les «khoubsistes» satisfaits de leur maigre gagne-pain. Il suffit de regarder le mode de vie des uns et des autres pour que la différence vous saute aux yeux. La corruption transforme les bergers des anciens colons qui sentent encore le foin et la laine mouillée des brebis de monsieur Claude en grands entrepreneurs de fortune !
L’expérience démontre que l’argent mal acquis vous fait sauter du dos de votre baudet qui se déplace à quatre pattes au siège de la voiture japonaise quatre-quatre en un temps record. Dans un pays où la justice joue son rôle, la vie de voiture quatre-quatre, cadeau miracle du père Noël, ne dure pas longtemps. La jouissance et le confort d’un argent mal acquis se termine sans faute dans une prison civile. (…) Je suis convaincu que les nationalistes, les honnêtes, les intègres et les libres gagneront la bataille. Notre nation a tous les atouts pour être heureuse et prospère. Une fois la corruption éradiquée, abattue et enterrée, l'Algérie donnera au plus humble de ses citoyens un niveau de vie et de sécurité élevé.

Horizon


Rédigé par psa le 03/01/2010 à 17:03