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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Portrait d’une capitale de 2 millions d’habitants, agitée et inspirante, dont des pans entiers ont été rasés par le séisme. De quoi penser aux vers de Salvatore Adamo :
Dieu de l'enfer ou Dieu du ciel
Toi qui te trouve où bon te semble
Sur cette terre d'Haïti
Il y a des enfants qui tremblent


Requiem pour les millions d'âmes de ces enfants, ces hommes, ces femmes… à genou
Requiem pour les millions d'âmes de ces enfants, ces hommes, ces femmes… à genou
C’est une ville comme suspendue, adossée à des montagnes sur lesquelles une partie de l’élite haïtienne s’est installée. Deux millions d’habitants, pour un pays qui en compte probablement huit. Et une densité de population telle qu’elle explique en partie l’étendue des dommages causés par ce séisme, le plus violent depuis 200 ans. Port-au-Prince, souvent représenté par ses bidonvilles de Cité Soleil et de Bel-Air, n’est pas seulement le ghetto miséreux que l’on se figure. Mais, jusqu’à ce tremblement de terre qui en a réduit de larges portions en poussière, la capitale haïtienne était aussi ce mélange de flamboyance créole et de contradictions insulaires dont les grands écrivains caraïbes ont chanté la séduction – Dany Laferrière, notamment, en séjour haïtien pour le tournage d’un documentaire et qui a survécu à la catastrophe.

Sur le bord de la baie, dans la basse ville, le Palais National était jusqu’à mardi après-midi une sorte de fierté collective. Une immense bâtisse immaculée, dans une cité où tout se salit; maison d’Etat baroque, presque cubaine, depuis laquelle François Duvalier puis son fils conduisaient une population où chacun, tour à tour, était en charge du nettoyage public. On a vu ensuite Jean-Bertrand Aristide, prêtre défroqué, donner là ses ultimes conférences de presse avant d’être renvoyé manu militari sous d’autres cieux. C’était en 2004, l’année du bicentennaire de l’Indépendance haïtienne. Depuis lors, René Préval, ancien aristidien plus ou moins repenti, a repris le pays. Et il a survécu à l’affaissement du bâtiment, effondré sur ses bases. Le symbole est grand, sur cette place nommée Champs-de-Mars dont les statues des héros haïtiens (Toussaint Louverture, Henri Christophe, Jean-Jacques Dessalines) devisent. Les principaux ministères qui encerclent la place semblent avoir eux aussi connu d’irréversibles dommages.
Tout au sommet, à une heure de route de là, sans compter des embouteillages qui ont fait la réputation de Port-au-Prince, il existe un point de vue duquel on embrasse la baie entière. Il s’appelle Boutillier. Une vidéo a été publiée hier sur Internet d’une jeune fille qui pointe du doigt la ville, prise dans un gigantesque nuage de poussière; quelques minutes après la première secousse. «C’est un incendie, dit-elle. La fin du monde est arrivée.» Entre ces deux pôles qui dessinent cette ville ascensionnelle, l’étendue des destructions reste encore à imaginer. Sur les contreforts altiers de Pétionville, là où la bourgeoisie haïtienne s’était bâti des demeures bétonnées et grillagées face aux colliers de maisonnettes pauvres accrochées à la falaise, la dévastation est moins grande que dans la basse ville. Mais les bâtiments à étages, souvent construits à moindres frais, n’ont pour la plupart pas survécu; en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants. Mardi, le Montana, perché sur une colline, fleuron de l’industrie hôtelière haïtienne, aurait disparu avec ses quelque 200 clients.
Il faut s’imaginer cela. Une cité étriquée, pointillée de maisons individuelles, qui souffrent à peine les cyclones raisonnables qui soufflent l’été sur Port-au-Prince. Presque aucun plan urbanistique. La débandade de l’émigration rurale qui échoue dans les eaux marécageuses de Cité Soleil, ou dans ce quartier de Carrefour-Feuilles qui, selon certains témoignages, a été terriblement affecté. «La ville est majoritairement détruite», a annoncé l’épouse du président Préval. Au plus proche de l’épicentre, dans la zone suroccupée de Carrefour ou dans les abords labyrinthiques de la Grand-Rue, la fragilité des constructions, l’encombrement des rues d’accès, ont forcément aggravé un bilan des victimes qu’on n’ose estimer encore. «Mes parents ont eu vingt secondes pour déguerpir avant que leur petite villa s’évapore», précise Erol qui a finalement réussi à joindre sa famille après une dizaine d’heures de tentatives. C’est le temps qui manquait. Dans un pays parmi les plus pauvres du monde, où il s’agit depuis toujours de courir pour survivre.
Port-au-Prince a un doux nom. Qui évoque des conquêtes napoléoniennes, l’appétit des flibustiers et la mémoire d’un pays qui se trouve ne pas seulement appartenir aux tréfonds des statistiques de développement. Port-au-Prince était ce lieu de résistance, berceau de la première république noire de l’histoire, dont les habitants ne se voyaient pas seulement comme des laissés-pour-compte. Port-au-Prince supportait à la fois le drame d’un pays caraïbe dont la déforestation, la misère endémique, la violence des éléments et les déséquilibres politiques en font un contre-exemple mondial. Mais la capitale, paradoxalement, demeurait ce lieu de fascination culturelle, d’inventivité formelle et de religions partagées qui a donné naissance dans les départements français voisins au concept même de créolité. Depuis André Malraux et André Breton, jusqu’à ses jeunes artistes internationaux qui quittaient il y a quelques semaines, transis, la première Biennale d’art haïtienne, Port-au-Prince n’a cessé d’incarner aux yeux des penseurs un modèle de subversion créative.///////Arnaud Robert



Silence


Rédigé par psa le 14/01/2010 à 00:00