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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




En un an, «Indignez-vous!», livre minuscule de Stéphane Hessel, s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires. Le résistant nonagénaire a rencontré les Indignés genevois. De l’autre coté des frontières, Elsa Fornero, la ministre italienne du Travail et de la Prévoyance sociale, ni comédienne ni actrice, verse de touchantes larmes : témoignages de l’ampleur des sacrifices sociaux. Deux mondes pour un élan commun. Indignés de tous les pays…


Pour les larmes d’Elsa… Continuez à vous indigner
L’un porte une casquette Zimstern et une veste polaire. L’autre un costume trois pièces, une cravate sombre et un imperméable. Hier dimanche après-midi, Stéphane Hessel, ancien résistant, ambassadeur et corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme a rencontré Stéphane Amsellem, ex-punk, coursier à vélo et Indigné genevois. Deux mondes pour un élan commun. L’auteur d’Indignez-vous!, vendu à plus de trois millions d’exemplaires en une année, a salué l’engagement des campeurs des Bastions: «Genève est un lieu où l’on peut se donner une cible, le dysfonctionnement de l’économie mondiale.» «C’est la première. Nous reprenons l’esprit de Genève, l’altruisme et la solidarité», a répondu le cadet, promettant: «On ne fera pas couler de sang, mais seulement coucher de l’herbe». Une foule bigarrée a écouté l’échange, jeunes savamment négligés, coquettes grisonnantes, chiens jappant. «Bon courage, continuez», a conclu Stéphane Hessel, 94 ans, après avoir fait le tour des tentes et reçu chocolats, poèmes ou compliments émus.
En conférence à l’Université de Genève mardi dernier, sur l’obtention de justice, vérité et réparation pour les victimes de crimes graves, Stéphane Hessel est aussi bien en dates qu’en paroles
1917: naissance à Berlin
1941: naturalisé français depuis 1937, il entre dans la Résistance
1944: arrêté par la Gestapo. Il s’échappe à deux reprises
1946: devient diplomate aux Nations unies, pour lesquelles il corédige la Déclaration universelle des droits de l’homme
1977: ambassadeur auprès de l’ONU, à Genève
2010: publie «Indignez-vous!»

Pour les larmes d’Elsa… Continuez à vous indigner
-Il y a une année sortait «Indignez-vous!». Depuis nous avons assisté à quelques révolutions arabes et de nombreuses mobilisations se revendiquant de votre titre. Un commentaire?
Stéphane Hessel: Cela m’enchante; on est toujours content quand une chose que l’on a faite a du succès. Mais cela m’inquiète car ce titre provocant, qui n’est pas de moi mais a été proposé par la maison d’édition Indigène, peut susciter des indignations différentes. Je souhaite qu’elles se fondent sur les valeurs indiquées dans mon livre et figurant dans le programme du Conseil national de la Résistance et la Déclaration universelle des droits de l’homme. La façon dont ce petit livre s’est répandu dans une trentaine ou quarantaine de pays prouve qu’il y a une angoisse sur la façon dont est menée l’économie mais aussi la politique mondiale. En Espagne, en Tunisie ou à New York des citoyens se sont mobilisés en brandissant mon texte.


– Vous mettez donc les révolutionnaires arabes et les Indignés genevois ou madrilènes dans le même sac?
Ces situations sont évidemment très différentes les unes des autres mais elles ont en commun le désir de ne pas accepter le fonctionnement actuel. A Madrid, celui d’un Zapatero n’ayant pas réussi à donner suite aux besoins fondamentaux des Espagnols. A New York contre les dérives de Wall Street… Je pensais à la France en écrivant ce texte mais il a trouvé un écho dans bien d’autres pays.


– Vous trouvez que la France se porte mal?
Je suis un opposant depuis toujours, un socialiste. Il me semble bon de prendre position contre la façon dont le président Sarkozy gère mon pays, à savoir sa proximité avec les riches et le peu de souci qu’il a des immigrés ou des Roms. Pour résumer: son allégeance au néolibéralisme sans régulation financière.


– Vous reconnaissez-vous dans les mouvements qui brandissent votre livret?
Je ne me reconnais que comme un lançeur de mots. La manière dont cette indignation est vécue varie selon les pays. J’ai été par exemple gêné par les Espagnols agitant mon livre et attaquant le parlement ou jetant des pierres. Je me retrouve en revanche dans les revendications, qui ont toutes pour principale cible le dysfonctionnement de l’économie mondiale.


– Quid des révolutions arabes?
Je suis fondamentalement un démocrate et je pense qu’il revient aux peuples de décider de qui les gouverne. Il faut s’indigner lorsque l’Etat est autoritaire mais il s’agit ensuite d’aboutir à la démocratie. Et là se pose la question: l’Islam est-il compatible avec la démocratie? Je réponds oui, voyez l’exemple turc – bien qu’imparfait. Les formes de démocraties peuvent être diverses et respecter les traditions, tant qu’elles sont en accord avec la Déclaration universelle des droits de l’homme.


– Dans «Indignez-vous!», vous citez largement le programme du Conseil national de la Résistance et la Déclaration universelle des droits de l’homme. Avez-vous lu les projets du Conseil national de transition libyen ou encore des gouvernements tunisien ou égyptien?
J’ai essayé de comprendre les revendications tunisiennes. J’y suis allé à plusieurs reprises. Je suis également de près les élections égyptiennes. J’ai naturellement un sentiment mélangé parce que je suis un partisan acharné de la non-violence. Je peux la comprendre de la part de gens soumis à une violence extrême de la part de l’État mais je pense que la non-violence courageuse permet les meilleurs résultats. Voyez les Syriens qui continuent à protester pacifiquement.


– Et qui sont durement réprimés là où les Libyens et l’OTAN ont éliminé Kadhafi au prix de combats.
Il y a des cas où il est légitime que la violence intervienne. Mais la résolution du Conseil de sécurité visait à détruire les armes du tyran en évitant de tuer des gens. Il y a cependant eu des victimes. Cela devient un problème philosophique sur la guerre juste.


– Quels sont les défis majeurs aujourd’hui?
Je vois au moins deux grands périls contre lesquels il faut agir. D’une part, l’extrême pauvreté face à la scandaleuse richesse, l’écart s’accroît. D’autre part, nous avons exagérément exploré les ressources de notre petite planète.


– Dans «Engagez-vous!», publié quelques mois après «Indignez-vous!», vous proposez la création d’un Conseil de sécurité économique et sociale et d’une Organisation mondiale de l’environnement. Vous évoquez encore des initiatives plus individuelles et plus locales. Par exemple?
Il est possible de se mobiliser localement dans le cadre d’une économie sociale et solidaire. C’est ce que proposent par exemple les Amap en France, des coopératives, des mutuelles. Il s’agit d’un échange entre le producteur et le consommateur permettant de développer une économie sans profit. Un autre exemple serait de s’occuper des immigrés en situation difficile. Les rencontrer, leur parler, essayer de faire pression sur la préfecture ou les autorités en cas de menace de renvoi. J’ai envie de dire aux jeunes: ne restez ni indifférents ni découragés.


– Comment les percevez-vous ces jeunes?
Je les trouve un peu léthargiques, endormis. Mais, et c’est au moins aussi grave, ils sont découragés parce qu’ils ont l’impression que ce qu’ils font ne sert à rien. Ce livre vise à leur dire de ne pas baisser les bras.


– Vous évoquez l’économie et l’environnement comme défis majeurs. Que dire des droits humains, vous qui avez corédigé leur Déclaration universelle?
C’est ce qui me préoccupe personnellement le plus. Nous disposons heureusement d’une organisation, dont l’un des sièges est ici à Genève, les Nations unies, qui a mis en place un nombre considérable d’instances et d’institutions pour résoudre ces problèmes. Qu’est-ce qui leur manque? Une certaine efficacité. Trop souvent ce sont des discours, quelquefois des résolutions excellentes, mais qui ne sont pas appliquées. Cela cloche pour des raisons que nous connaissons bien: le veto du Conseil de sécurité notamment. Nous aurions besoin d’une organisation où les décisions seraient prises à la majorité des deux tiers. Quant au Conseil des droits de l’homme, la difficulté est de concilier droit et politique. Globalement, nous allons dans la bonne direction, sauf quelques retours en arrière. Je pense aux années qui ont suivi la chute des tours de Manhattan, succession de bêtises et de crimes.


– Vous avez été invité à Genève par l’association Enfants de Gaza. Le Proche-Orient est l’un de vos grands motifs d’indignation?
J’ai connu la Deuxième Guerre mondiale et la Shoah. J’ai été de ceux qui se sont réjouis de la création de l’État d’Israël. On parlait alors de Palestine mais non de Palestiniens; aussi je suis resté un peu tristement indifférent à ce que ce peuple appelle la Nakba, c’est-à-dire l’obligation de quitter 55% de leurs terres et leurs villages en 1948. J’ai commencé à m’indigner lors de la guerre de 1967 et je suis, depuis, chaque année plus sévère. Israël a aujourd’hui à sa tête le pire gouvernement qu’il n’ait eu, quasi fasciste. Je suis donc devenu le parrain du Tribunal Russell sur la Palestine, qui appelle à citer témoins et experts sur ce qui n’est pas acceptable.


Mot à Maux


Rédigé par psa le 10/12/2011 à 00:50