« Et maintenant, ne me parle pas de l'impératif catégorique, mon ami !
Ce mot chatouille mon oreille et me fait rire malgré ta présence si sérieuse : il me fait songer au vieux Kant (...) Comment ? Tu admires l'impératif catégorique en toi ? Cette "fermeté" de ce que tu appelles ton jugement moral ? (...) Admire plutôt ton égoïsme! L'aveuglement, la petitesse et la modestie de ton égoïsme ! Car c'est de l'égoïsme de considérer son propre jugement comme une loi générale ; un égoïsme aveugle, mesquin et modeste, d'autre part, puisqu'il révèle que tu n'es pas encore découvert toi-même, que tu n'as pas encore créé, à ton usage, un idéal qui te soit personnel, qui n'appartiendrait qu'à toi seul : - car cet idéal ne pourrait jamais être celui d'un autre, et, encore moins, celui de tous !
Celui qui juge encore : "dans ce cas chacun devait agir ainsi", n'est pas avancé de trois pas dans la connaissance de soi : autrement il saurait qu'il n'y a pas d'actions semblables et qu'il ne peut pas y en avoir ; - que toute action qui a été exécutée l'a été d'une façon tout à fait unique et irreproduisible, qu'il en sera ainsi de toute action future, et que tous les préceptes ne se rapportent qu'au grossier côté extérieur des actions (de même que les préceptes les plus ésotériques et les plus subtils de toutes les morales jusqu'à aujourd'hui), - qu'avec ces préceptes on peut atteindre, il est vrai, une apparence d'égalité, mais rien qu'une apparence. »
Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir
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