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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le départ brutal de Kadhafi, son assassinat quasi direct, posent réellement un cas de conscience aux démocrates convaincus que nous demeurons, particulièrement celles et ceux du continent africain. Autant nous appelons à l’évolution du continent par une écoute fidèle des populations et de leur droit de choisir leurs dirigeants et représentants, autant les moyens mis en œuvre pour y parvenir, parfois, peuvent s’avérer disproportionnés pour atteindre cet incontournable résultat de la démocratie et de la dignité humaine. Notre devoir de sacraliser la primauté des citoyens et leur respect par les dirigeants qui sont à leur gouverne est-il pour autant compromis et ébranlé par ces temps d’incertitude?


La Libye… Une Tragédie Africaine
La Libye, plus que la Tunisie et l’Égypte, appelle réellement à une analyse qui porte loin, bien au-delà des simples alignements des mots doctrinaires et révolutionnaires d’une autre époque. L’état des lieux dans cette Afrique que nous connaissons, toutes et tous, révèle toujours un constat lamentable lié aux insuffisances notoires de nos dirigeants, du fait même qu’ils ne sont généralement pas qualifiés pour aborder et résoudre les lancinantes problématiques démocratiques. Le souci de la plupart de nos dirigeants reste de toujours trouver et imaginer les moyens les plus rocambolesques pour s’éterniser au pouvoir, directement ou par leur progéniture, trop souvent en malmenant leurs opposants et en manipulant leur peuple au lieu d’institutionnaliser la démocratie et en être valorisés par l’histoire.

La question de l’alternance politique en Afrique et la possibilité pour les peuples de savoir qu’ils peuvent remplacer, remercier ou ramener, au moyen de leur vote, leur dirigeant reste toujours au cœur des préoccupations de ce demi-siècle d’indépendance des États africains. La Libye, surtout sans dettes économiques et avec des réserves financières énormes, est un cas d’espèce qui nous interpelle davantage et frustre certains d’entre-nous. Nous pouvons les comprendre!

D’abord, le corps encore chaud de Kadhafi nous impose le devoir d’éviter de lacérer sa mémoire; cette prudence nous est aussi opposable compte tenu de la proximité des événements et de l’ensemble même de la tragédie libyenne, toujours incertaine. Sur plusieurs plans, l’homme, le Guide Mouammar Kadhafi n’a pas toujours démérité à la tête de son pays et au service de l’Afrique. Un « Digne fils d’Afrique », entend-on souvent dire de lui.

Sauf que, le fait d’être de dignes fils d’Afrique –ce sont généralement des hommes et non des femmes qui sont à la tête de ces États africains, ne doit empêcher les chefs d’État africains de céder le pouvoir et favoriser l’alternance démocratique. En Libye, il n’existait même pas un moyen « légal » qui ne soit tout simplement héréditaire, loufoque ou brutal de remplacer Kadhafi. Il était le roi des rois, autant chez lui que sur tout le continent africain, et peut-être même le roi des rois du monde entier.

De sa bouche et surtout de celle de son fils Saïf al-Islam ont été proclamé, largement, leur désir de s’opposer et de massacrer leurs concitoyens fatigués de ce règne sous lequel tout le monde commençait à suffoquer littéralement, même ses admirateurs et partisans d’hier, depuis sa révolution de septembre 1969. Mais Kadhafi ne connaissait un autre langage que les chiffres et les lettres de la brutalité; son successeur patenté, Saïf al-Islam, promettait des « rivières de sang » aux uns et aux autres, en février dernier déjà: « L'armée aura maintenant un rôle essentiel pour imposer la sécurité parce que c'est l'unité et la stabilité de la Libye qui sont en jeu. La Libye est à un carrefour. Soit nous nous entendons aujourd'hui sur des réformes, soit nous ne pleurerons pas 84 morts mais des milliers et il y aura des rivières de sang dans toute la Libye. » La suite, nous la connaissons ou la devinons, puisque Saïf al-Islam est aujourd’hui toujours en fuite, toujours plein de promesses quoiqu’affaibli…

La Libye… Une Tragédie Africaine
Solidaire du ridicule et de la naïveté? Non, solidaire de la raison!

Naturellement, la non-qualification de la plupart des chefs d’État africains sur les questions de démocratie ou encore leur dépendance financière ou sécuritaire vis-à-vis des Kadhafi, rendait leur syndicat qu’est devenue l’Union Africaine, pratiquement inopérante, car cacophonique, calamiteuse puis caduque au niveau de la diplomatie et surtout du devoir démocratique que cette institution doit, désormais, aux peuples africains.

Principalement au nom de la solidarité africaine, une telle catastrophe doit perdurer. C’est ce que nous suggèrent certains de nos amis, Africains et Africanistes, anti-impérialistes connus et reconnus. Non merci! Désolé pour vous, c’est non; c’est même un gros non, clair et sans équivoque.

Que notre « non merci!» soit même entendu que, désormais, ce sera : « Qui veut la démocratie prépare la guerre ». Malheureusement! Il nous faut désormais préparer « La guerre sans l’aimer », la guerre comme nous ne l’aimons pas et ne l’avions jamais souhaité, la guerre, la juste guerre malheureusement, la guerre de la paix, la sainte paix en Afrique, notre tardive Pax Africana de la démocratie et de la dignité humaine.

De toutes les façons, si ce n’est pas la guerre ce sera le Ridicule qui nous tuera. Tout pacifiste qu’il est, le Ridicule finira par changer de camp –de bon droit, pour nous tuer. Même le Ridicule est fatigué de nous : las de nous voir incapables d’adhérer à la dignité humaine, las de notre incapacité à écouter nos concitoyens, las de ne pas avoir d’intérêt et refuser aux autres d’en avoir, las de nous plaindre et de nous complaindre pour tout et pour rien, las de nos inutiles tergiversations et de nos décevantes afro-chicaneries. Las de tout cela, le Ridicule finira par nous tuer; et non pas Nicolas Sarkozy, pas Barack Obama, pas David Cameron et pas d’autres qui savent ce qu’ils veulent et sont fiers défendeurs de leurs intérêts.

Seulement pour ces temps derniers et prochains, nous en connaissons des Burkinabès, Camerounais, Congolais et bien d’autres Africaines et Africains qui aimeraient bien que dans leur pays, les votes traduisent véritablement leur désir d’être gouverné par des dirigeants de leur choix. Depuis tout le temps qu’on en parle… Hélas! En Libye, il n’y avait même pas de votes, pas d’élections respectables. Le roi des rois connaissait le désir éternel et définitif de son peuple : lui et ses enfants, bien sûr. Le voilà parti. Seulement parce que la manière n’y était pas, devrions-nous nous replier sur nous-mêmes et être en réserve de la démocratie?

De grâce, ne nous trompons pas de solidarité. Solidarité de peau, de race, « là n’est pas la question n’est pas là » dirait-on ici, sur les bords du Saint-Laurent. Et l’autre de préciser depuis les rives du Sénégal: « Certes la solidarité raciale existe mais elle est suggestive. Cela est si vrai que la solidarité raciale n’a pas empêché les assassinats, les détentions illégales, les emprisonnements politiques des dynasties régnantes d’aujourd’hui en Afrique noire », en Afrique tout court. Autant de faits qui font que notre solidarité est davantage humaine, celle de notre seule race par ailleurs, comme nous l’enseigne toujours Cheick Anta Diop; une solidarité de la raison avant celle de nos émotions.

Chaque dictateur africain qui s’en va est un pas en avant vers la démocratie, un pas vers la dignité africaine. Et c’est l’essentiel! Pour la manière, on en reparlera sûrement, autant que pour nos pleurs éternels depuis plus de cinquante ans, parce que nos âmes seraient vertueusement non impérialistes. En attendant, un dictateur de parti est véritablement une dignité de conquise. C’est en cela que la Liberté pour la Liberté, la liberté pour le développement et le respect restent une valeur qui toujours aura un prix minimum à nos yeux, un prix commençant par celui de l’abandon de notre naïveté et de notre sifflotant candeur, pendant que tout bouge autour de nous. À cinquante ans, « Afrique, lève-toi et marche! » Tombe, mais relève-toi et marche, Afrique. « L’heure de nous-mêmes » a plus que sonné, c’est désormais le glas qui sonne pour un réveil démocratique de toutes les nations africaines.

Horizon


Rédigé par psa le 11/11/2011 à 20:50
Tags : Afrique Kadhafi Libye Notez