Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




On lui dit : le peuple pleure, pleure des peines dont il se plaignait déjà du temps de ton père, pleure de sa misère, du pain qu’il doit plonger dans le plus profond abîme pour attraper…
Il répond : Arrêtez ! Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !


"N'importe Quoi" de Julien Green
"N'importe Quoi" de Julien Green



Le peuple crie, le peuple pleure. Il crie et pleure. Pleure les blessures, les meurtrissures, les deuils faits et non encore faits, ou craints. Lui, oreilles et yeux fermés, il heurte brutalement plutôt qu’il ne répond :
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

On lui dit d’heure en heure, le peuple meurt. Ne cherche pas à le heurter davantage. Les horreurs accumulées durant le règne de ton père et durant ton règne dépassent la mesure humainement supportable, reviens à des valeurs. -C’est quoi, dit-il, valeurs ? Mon père a usé de terreurs pour être roi.
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

On se rapproche de lui, croyant pouvoir l’attendrir : partout dans ton royaume, dans toutes les murailles ou presque, des familles entières, les marmailles se plaignent du pain, de la vraie paix que tu leur as…
« Que je leur ai quoi ? Même si seul ici, je demeure, ceux qui n’acceptent pas mon règne dans toute sa grandeur, me verront à toute heure
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

Tu veux qu’on te dise pourquoi tu veux être empereur ?
Ce n’est pas seulement par crainte de ne pas être aux places d’honneur.
Mais tu mérites de subir le sort des malfaiteurs, de rendre compte de tout ce dont tu es débiteur. Tu en es conscient dans ton for intérieur. Et tu as fait voter des lois par des législateurs qui portent tes couleurs.
Il se tait, quelque peu songeur, puis clame crâneur :
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

On lui dit : Si on te garantit ton mil ou ton blé et même ton beurre que tu n’as jamais gagnés à la sueur de ton front, si on te rassure de tes heures de rendez-vous joyeux avec tes nombreuses maîtresses… Il secoue la tête, l’air boudeur.
Le peuple lui dit qu’il n’aperçoit aucune lueur d’espoir, que partout s’installe la laideur, surtout celle de beaucoup de cœurs, qu’il faut bien que cesse cette progression du malheur. Mais lui, d’un air moqueur répond :
- Ce qu’il faut arrêter, ce sont les marcheurs, empêcheurs de tourner en rond.
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

Comme les gens ne semblent pas le prendre au sérieux, goguenard, il clame : Mes adversaires croient-ils que par leur nombre grandissant, au pays et dans la diaspora, ils pourront constituer un rouleau compresseur qui renverserait et écraserait le mur mythique, complexe multiple, protecteur que mon père a érigé, puis moi après lui en un demi-siècle ?
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

Justement, lui dit-on, ce demi-siècle de douleurs pour la plupart de vos concitoyens, demi-siècle de terreur, demi-siècle d’horreur, demi-siècle diabolique inauguré par l’acte barbare d’un tirailleur…
- Quoi ? Vous insultez mon géniteur ? Vous l’appelez tirailleur et vous le traitez de tueur sanguinaire. Tirailleur, mon père ? Si vous donnez dans les insultes… ! Je sais qu’il était…
- Inculte ?
- Non ! Ce n’est pas cela que j’ai voulu dire. Bon ce sont les colonisateurs qui les ont baptisés tirailleurs, lui et ses compagnons pour rigoler un peu lorsqu’ils étaient de bonne humeur. C’est rigolo, non ?
- Aussi rigolo que lorsque dans une république un chef d’État, auteur intraitable de coups d’État répétés, trouve géniale la formule magique de se faire succéder par sa progéniture.
Mais, quoi que l’on dise, rigolo ou pas, il ne cesse de répéter, pour qu’on l’entende bien, usant d’un haut-parleur :
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !
- Mon père n’a jamais eu peur. Mon père est un héros. Ceux qui le défiaient risquaient gros. Les gens qui marchent et qui crient ne m’impressionnent guère.
- Tu es donc de la lignée de ton père ? Lignée alourdie par toutes sortes de laideurs
- Quoi que l’on dise, je me considère comme de sa lignée à cent pour cent. C’est pour cela que le royaume m’a été confié. Je le revendique volontiers. Si je suis menacé, je n’hésiterai pas à écraser ce peuple brailleur.
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !
- Ton père avait donc eu raison d’écraser ceux que tu appelles « brailleurs » !
- Les brailleurs, les marcheurs, les comploteurs, les déstabilisateurs, les fauteurs de troubles, les guerroyeurs, les planificateurs d’attentats, les rêveurs, les crieurs, les gêneurs…
- Euh…euh… Pense un peu à ce qu’on dira aujourd’hui ou demain de ton père et de toi. La même rime en « eur » ! Arracheurs de dents, de langues et de cœurs, buveurs de bouillie de chair humaine, broyée sous les chars et les tracteurs, briseurs de vie et de toutes les envies, arnaqueurs, accapareurs des terres, des propriétés, de marchés, créateurs de vide, camionneurs, convoyeurs de nos richesses du sol et du sous-sol aux prédateurs. Et les allumeurs…


L’affaire des incendies de marchés a pris une ampleur, telle que le prétendant empereur ne souhaite pas en parler. Surtout depuis que, par une erreur monumentale, ceux qui avaient l’habitude du montage vénal, avaient cru avoir trouvé le bouc émissaire idéal. Une révélation de ce dernier, innocent accusé et injustement emprisonné, dans un confessionnal, qui pour la conscience, vaut plus que tribunal ; on a les preuves sur les menteurs et sur les vrais auteurs. Il intervient, intempestif, non sans frayeur :
- Le confesseur, ce prêtre, pour moi, n’est plus en odeur…
- De sainteté, dis-tu ?
- Qui l’a élu ? Il fait partie des comploteurs !
- Monseigneur ?
- Quel seigneur ? Il y a d’autres seigneurs, je veux dire d’autres évêques. Et même le pape, lui empereur des catholiques du monde entier, lui Souverain Pontife qui me traite en Souverain. J’ai sa bénédiction et sa faveur.
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

- Ton père, pour être roi, a semé partout l’effroi, transformant en instrument d’horreur, ici objet de rejet, ce que l’on regarde avec respect, l’armée, corps de fierté et d’honneur ailleurs, en épouvantail synonyme de deuil…Si tu deviens empereur, ce sera donc dans un empire de terreur. Ou, avec ta bande au pouvoir, vous serez bradeurs d’empire. On vous sait déjà bonneteurs.
Il n’écoute presque plus rien de ce que disent ses concitoyens. Il ne supporte pas ce ton qu’il déclare accusateur.
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !

- Si ton père a été voleur, voudrais-tu être pilleur, braqueur ?
S’il a confondu hommes et bêtes sauvages, privilégiant ces dernières au détriment des premiers, tout au long de son règne aux actions meurtrières, voudrais-tu être coupeur de têtes, en tout le dépassant, surtout en actes sanglants ? N’as-tu pas juré d’être différent de lui et même meilleur ?
Il daigne répondre encore à ceux qui l’implorent de dégager pour mettre fin au danger qui guette le pays. Délirant, de toutes ces forces il crie
Mon père a été roi. Je rêve d’être empereur !



Sénouvo Agbota ZINSOU
Munich, Allemagne
●14 décembre 2019●


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Mot à Maux


Rédigé par SAZ le 14/12/2019 à 02:00



"Nuit Rouge" par Yvo Jacquier
"Nuit Rouge" par Yvo Jacquier


Laids, ceux pour qui la population est une vache à lait, ni plus, ni moins.

Laids, les membres de cette clique mal élevée, à l’affût de cet aliment malhonnêtement gagné.

Laides les hordes endiablées, déchaînées, telles des molosses de malheurs, légions devenues légendaires dont l’existence personnifie la brutalité, entrant dans les domiciles, pénétrant dans tous les vestibules, tous les salons, toutes les salles, mettant sens dessus, dessous meubles et ustensiles de cuisine, renversant les lits, saisissant et liant tous ceux qui courent se cacher sous les matelas, dans les coins de toilettes, les rouant de tous les coups dont ils sont capables, eux les malheureux dégoulinant de tout ce que l’on peut imaginer. Coupables ces militaires-miliciens-déclarés « Ligue Nationale d’Autodéfense » en délire ? Jamais ! Puisqu’ils sont détenteurs d’un diplôme d’impunité totale et perpétuel.

Laids, ces bras musclés qui tiennent en main la clé de la consolidation du système.

Laide cette bande lâche armée de kalachnikovs, de pistolets, de grenades lacrymogènes, pourvoyeuse de larmes, de cris de malédictions et de désolation scandés « hélu ! hélu ! » par les femmes, et qu’affrontent les adolescents et tous passant courageux, leur lançant des pierres dans les rues et les ruelles.

Ceux qui, farfelus, font tous leurs calculs pour que leur masque facial jamais ne glisse, mais hélas pour eux, ce masque n’échappe pas à la loi de la chute libre et révèle leur vrai visage tel qu’en réalité il est : laid !

Laids. Si laids que quelquefois, l’on se demande si ces hommes et ces femmes se regardent dans la glace morale et physique : la Loi, les règles établies pour la vie sociale et publique.

Laids, ces demi lettrés qui ne savent pas lire l’essentiel quand on se pique de politique, c’est-à-dire, les lignes sur le front du peuple et qui laissent clairement voir les heures pénibles, interminables qu’il vit de l’aurore au crépuscule et de la nuit aux clairs rayons du soleil.

Laide cette bande d’intellectuels klatchataïques, donc au service de Klatchaa : on les a vus à la télé, on les a entendus, on les a lus…dans le fond des lâches et des ladres que ne touchent guère les cris horribles de douleurs poussés par le peuple, la vraie misère étalée çà et là, à Lomé comme à Bafilo, dans les Lacs comme dans l’Oti, comme dans l’Ogou, dans les cases délabrées de Kpalimé comme dans les salles de classe en ruine de Bandjéli.

Laide lignée de Klatchaa.

Laids. Tout le monde sait ce que chacun d’eux lorgne : titres et valises d’argent. Hôtels de luxe et lustres des palais. Klatchaa ils soutiennent, Klatchaa ils deviennent eux-mêmes, ensemble ou l’un après l’autre, vite ou lentement, non seulement du bout des lèvres et de la plume, mais aussi profondément et perpétuellement. Inexorablement, absolument Klatchaa. Klatchaa que ne cache pas leur élégance d’apparence.

Laid, le malheur dans lequel ils nous plongent, surtout parce qu’on les prenait pour des modèles.

Laid, le poids lourd de l’éléphant et des éléphanteaux mâles et femelles, qui réduisent en lambeaux nos peaux fragiles.

Laide cette armée de militaires-militants-miliciens qui livrent bataille continuellement aux citoyens jaloux de leur liberté.

Laids les palais dans lesquels ils se prélassent, tandis que la population se lasse d’attendre une étoile hypothétique, se lamente, engluée dans la misère qui est son lot quotidien, les labeurs dont le résultat n’est nullement reluisant.

Laide leur colombe aux ailes alourdies, symbole voilé de violences, de vol vers des destinations inavouables, d’actes crapuleux, de vandalisme, de faux ciel, fausses lueurs. Rapace au plumage de couleurs trompeuses, au roucoulement qui se veut mélodieux qui cache mal son horrible dessein d’engloutir, de dévorer tous ceux qui l’écoutent et qui, naïvement croient à son appel à l’union, à la paix.

Laid l’oiseau voleur qui, comme prévu par les clairvoyants, s’envole toujours laissant dans la vallée profonde et obscure de la misère des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui avaient cru à son chant de salut.

Laids leur langage, leurs paroles, leurs slogans déversés à longueur de journée, les salives qui coulent, coulent, fleuves torrentiels, mais finalement, dévalorisés, décrédibilisés et qui, cependant, se veulent mielleux, allégations que le monde sait louches.

Laids les allumeurs d’incendie dans nos principales villes qui déjà jubilaient derrière les flammes des possibilités qu’elles leur offraient de liquider quiconque prétend rivaliser avec eux, ou réclame simplement l’alternance.

Laid, le levain de haine qu’ils ont semé et qui d’année en année, de lieu en lieu, vallées et collines, lève le volume de révolte qui, explosant peut devenir incontrôlable, volcan jusque-là tranquille.

Laide, la lèpre, la maladie dont ils sont couverts eux-mêmes et dont ils souhaitent contaminer tous les hommes et toutes les femmes de toutes les localités.

Laids les galons de la Mort, les échelons gravis dans la hiérarchie des tortionnaires, des bourreaux, tous confortablement logés aux plus hauts niveaux des grades que confèrent leurs loyaux services de torture, blessure de citoyens, déchirure de peau…et d’âme.

Laids, le prolongement de leur règne, le déroulement parallèle de leur tapis rouge pour leur leader et champion, le faux renouvellement de leur parlement monocolore, solennellement installé par le rituel bien connu de l’élection frauduleuse.

Laide la mine de ceux qui élaborent, votent des lois propres à liquider la Loi, à ligoter la Liberté, à légitimer l’Innommable, à nourrir l’Autel de l’illégalité.
Laide l’allure de ces professionnels des enlèvements de paisibles citoyens, de largage de valeureuses vies dans les lagunes, les labyrinthes obscures.


Laide leur gueule lugubre de voleurs, qu’ils croient pouvoir embellir par les robes apparemment impeccables de leurs juges, de leur Cour Constitutionnelle, qui n’a pas plus de validité que des cagoules de malfrats.

Ils sont tous, tout simplement laids.



Sénouvo Agbota ZINSOU
●Munich, Allemagne●
[2 décembre 2019]


Mot à Maux


Rédigé par SAZ le 02/12/2019 à 12:56



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