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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Ici, il ne faut nullement cacher notre sympathie à donner une main secourable à Kako Nubukpo et, de l’autre main, lui faire une tape dans le dos. Face à deux chefs d’État africains, qui s’y sont mis d’ailleurs à deux, pour obtenir sous de probables menaces, les excuses d’un simple citoyen dans l’euphorie d’une conférence universitaire survoltée, notre choix est clair : des excuses sous contrainte obtenues du professeur Kako Nubukpo sont une pure faiblesse de Faure Gnassingbé du Togo et Alassane Dramane Ouattara de la Côte d’Ivoire. Et, voici pourquoi qui avait déjà péché ne peut jeter la pierre à Kako Nubukpo.


L’histoire du monde est la chronique des dissidences…
L’histoire du monde est la chronique des dissidences…


À Londres, à la Cathédrale St-Paul, gît les restes de l’architecte ennobli, Sir Christopher Wren. Sur la tombe de Chris Wren, tout visiteur peut encore lire la mention mise par son fils : « Lecteur, si vous cherchez son œuvre, regardez autour de vous » [“Lector, si monumentum requiris circumspice” (Reader, if you seek his monument look around you)]. Personne ne peut oublier que ce bâtisseur impénitent de Londres, pour extérioriser ses talents, avait aussi quelques accointances, sinusoïdales, avec la royauté.

L’histoire de Chris Wren est surtout édifiante aujourd’hui, car Kako Nubukpo y puise quelques 350 ans plus tard, la valeur réelle de ses excuses présentées aux présidents togolais et ivoirien. Sous les virulentes critiques des journaux de l’époque qui avaient conclu, ex cathedra, qu’un dôme construit par Chris Wren devrait immanquablement s’effondrer un jour prochain sur les citoyens, l’architecte accepta de faire construire une colonne pour soutenir le dôme, éviter une éventuelle catastrophe et surtout faire taire les critiques virulentes dans une période où la « Déclaration d’indulgence » était pourtant promulguée par Charles XI.

À cette époque où tout architecte surveillait lui-même ses travaux, Christopher Wren fit construire une colonne qu’il prit soin d’arrêter à quelques centimètres, avant qu’elle ne touchât le dôme. Du bas, personne ne constata la supercherie. Mais les critiques, triomphantes, se glosèrent puis se turent. Évidemment, le pot aux roses fut découvert quelques années plus tard; radio Kankan fonctionnant aussi bien à Londres qu’à Lomé, Abidjan ou ailleurs. Et notre ami Chris de répondre comme si c’était notre ami Kako qui parlait aujourd’hui : J’ai élevé cette colonne pour taire les critiques et préserver l’essentiel. J’ai élevé cette colonne, non pas pour préserver le dôme d’un quelconque effondrement, mais bien pour supporter mes propres convictions que la structure du dôme est solide et traversera les années; ce qui est le cas jusqu’à aujourd’hui. Ensemencée, la vérité toujours grandit.


Un excès d’excuses forcées est rédemption

Que nous soyons de passage à Paris ou à Londres, n’oublions pas d’aller prendre un café avec Kako Nubukpo à la Francophonie, ou tirer chapeau à Chris Wren dans le Vieux Londres et sa Cathédrale St-Paul. Naturellement, il vous serait impossible de rencontrer Faure Gnassingbé à Lomé ou Alassane Dramane Ouattara (ADO) à Abidjan. Et c’est ici qu’il nous est devoir de leur mentionner qu’ils n’avaient aucunement besoin de chercher à humilier Kako Nubukpo en exigeant de lui un excès d’excuses, au lieu de lui servir un coup de fil inattendu. Comme il sait souvent le dire, « Tu ne nous as pas raté, petit Frère » aurait pu dire ADO à Kako. Ce dernier devrait, lui-même, se confondre en mille et humbles excuses qui lui resteront mémorables et instructifs.

Kako Nubukpo fait très bien le travail que devraient d’ailleurs faire tous les Faure Gnassingbé et les Alassane Dramane Ouattara des pays francophones africains qui ont le franc CFA en partage : faire évoluer les conditions de couverture, d’émission et de gestion de cette monnaie unique, et rendre compte. Avant Kako Nubukpo, d’éminents économistes africains dont l’équipe Édem Kodjo, alors ministre des Finances, avaient fait évoluer les conditionnalités du franc CFA. C’est dans cette droite lignée que se situe Kako Nubukpo qui fait l’admiration de toute une jeunesse africaine, les maladresses humaines et circonstancielles en moins.

Un chef d’État n’est pas une personne normale –nous en savons quelque chose pour en avoir expérimenté et éconduit un de beaucoup trop normal. Les populations que dirigent les présidents africains n’ont pas besoin de preuves toujours irréfutables, le fameux fusil tout chaud et tout fumant (Smoking Gun), pour affubler leurs dirigeants. Leurs gestes, leurs propos, leurs inactions et indécision, parlent largement pour ces chefs d’État, que les populations africaines savent bien les situer, les accuser au besoin, les appeler à leurs devoirs les plus sacrés : être à l’écoute de leurs concitoyens et se garder de n’en humilier aucun, malicieusement.

Les excuses privées de Kako Nubukpo étaient largement suffisantes dans les circonstances, comme est de trop le Communiqué de presse et autres pressions indues déversées sur un si rare messager d’une jeunesse africaine en ébullition. À Kako Nubukpo, dans toute son imperfection humaine passagère, nous rappelons bien ces propos uniques de l’un des missionnaires de l’impossible, le dissident Martin Luther King, Jr. : la souffrance imméritée est rédemptrice (Unearned suffering is redemptive).

Kako Nubukpo, levez-vous! Allez partout et continuez à semer la Bonne Nouvelle; tout est changement, tout est évolution, le franc CFA aussi. Les talents ne se taisent point; pas plus qu’on ne les fait taire. Mieux vaut savoir les gérer dans l’espace qu’ils se créent et recréent. Dans cette Afrique en quête d’exemples et de dignité, Kako Nubukpo, vous avez espace et bons vents. Courage!