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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Depuis la première manifestation de protestation contre l’illégitimité du pouvoir colonial, en 1763, à Boston, jusqu’aux Tea Parties contre l’illégitimité supposée de l’administration Obama, l’histoire politique américaine est parcourue de grands mouvements de protestation au nom de la liberté individuelle et contre l’emprise de l’État.


Lino, Ladies Laid, 2010
Lino, Ladies Laid, 2010
Les enfants des États-Unis apprennent à l’école qu’en 1773, un groupe de colons déguisés en Indiens a abordé un vaisseau de la Compagnie anglaise des Indes orientales à l’ancre à Boston et ont jeté à l’eau sa cargaison de thé pour protester contre la politique fiscale arbitraire de la Couronne britannique. La Tea Party appartient au récit glorieux de l’indépendance. La rejouer contre la Maison-Blanche est une spécialité du répertoire politique américain.

Les colons se plaignaient des taxes qui leur étaient imposées par le parlement de Westminster où ils n’étaient pas représentés. Loyaux sujets de Sa Majesté, ils réclamaient d’être traités comme tels. Or un impôt sur le sucre puis un timbre fiscal sur les documents imprimés avaient été adoptés en 1764 et 1765 sans qu’ils aient pu donner leur avis. Un mouvement de désobéissance civile s’organisa.

Des «mâts de la liberté» s’élevèrent à New York contre l’autoritarisme de Londres. Le gouvernement britannique réprima les rebelles et introduisit en 1768 de nouvelles taxes sur les produits utiles aux colons. Les habitants de Boston boycottèrent les marchandises anglaises, dont les importations diminuèrent de moitié en deux ans. Sous la pression des marchands, Londres supprima ces taxes, sauf celle, modeste, sur le thé. Loin de calmer les esprits, cette reculade les échauffa. Une journée d’émeute laissa cinq morts à Boston en 1770. La taxe sur le thé fut elle aussi supprimée, sous la pression de la Compagnie des Indes qui voyait son marché disparaître au profit des marchands indépendants et de la contrebande. Autre injustice: la Compagnie pouvait vendre son thé moins cher que tous les autres. C’est alors qu’eut lieu la Tea Party de Boston. Le roi George III réagit en fermant le port de Boston. Une cinquantaine de délégués de neuf des Treize colonies se réunirent en congrès en 1774 à New York pour rédiger un cahier de doléances, la Declaration of Rights and Grievances. Le roi déclara les colonies en rébellion. Chacune, de part et d’autre, commença à rassembler les armes.

Le grand thème de la révolte était «No taxation without representation»: pas de nouvel impôt sans une discussion préalable par les instances de représentation des populations concernées. Le continent américain reprenait à son compte le Bill of Rights imposé en 1689 aux souverains d’Angleterre, exigeant que toute décision royale – et sur l’impôt a fortiori – fût ratifiée par le parlement. C’était au final une prise de position radicale sur la légitimité du pouvoir. Elle devait aboutir, une guerre d’indépendance plus tard, à l’élaboration de la Constitution américaine, dont les dix premiers amendements sur les libertés fondamentales sont la référence cardinale de tous les mouvements d’opposition anti-étatistes réinterprétée selon les besoins du moment.

Lorsque Rick Santelli, journaliste de la chaîne câblée CNBC, s’en prend en février 2009 aux mesures de soutien financier d’Obama aux Américains sur le point de perdre leur domicile parce qu’ils n’arrivent pas à payer leurs traites, il ravive ce thème de la légitimité de la décision. Pourquoi, harangue-t-il en direct de la bourse de Chicago, les citoyens devraient-ils subventionner des «losers»? Sur quoi il invite tous les «capitalistes» à venir en discuter dans une Tea Party sur les bords du lac Michigan. C’est le début du mouvement que l’on connaît aujourd’hui.

L’administration Roosevelt avait connu le même, sous la forme d’une American Liberty League qui, dès 1934, dénonçait pêle-mêle le New Deal comme inspiré du fascisme et du communisme et le président Roosevelt comme un dictateur en herbe. Contrairement aux Tea Parties, la Ligue n’a jamais dépassé les 130 000 membres mais comme eux, elle a été financée par les plus grandes fortunes du pays, les DuPont, General Motors, General Foods, Chase National Bank, Standard Oil, etc., qui ont dépensé d’énormes sommes d’argent pour battre Roosevelt aux élections de 1936. La rhétorique outrancière de la Ligue et la formidable riposte du candidat Roosevelt ont cependant conduit à l’une des pires défaites électorales du Parti républicain.

Sous les présidences Kennedy et Johnson, une John Birch Society, du nom d’un missionnaire et militaire protestant tué par des communistes chinois en 1945, a chevauché les mêmes arguments des libertés constitutionnelles contre le collectivisme d’État. Également financée par de riches industriels, elle visait à «moins de gouvernement, plus de responsabilité et, avec l’aide de Dieu, un monde meilleur», grâce à l’abolition de l’impôt sur le revenu, le retrait de la loi sur les libertés civiques et le maintien des minorités hors des sphères du pouvoir. Elle a soutenu Barry Goldwater contre Johnson en 1964, en vain elle aussi.

Traversant tous ces courants conservateurs ou extrémistes, l’idéologie «libertarienne» les unit autour d’un concept de la liberté individuelle comme fondement des rapports sociaux. Ayn Rand (1927-1982), une romancière d’origine russe, leur apporte dans des livres vendus à des millions d’exemplaires, Atlas haussant les épaules ou La Source, une vérité absolue: celle du bien individuel contre le mal collectif. Nietzsche réemballé pour Chambres de commerce, dit The Economist./////Joëlle Kuntz


Mot à Maux


Rédigé par psa le 09/11/2010 à 00:34
Tags : Obama Tea Party Notez